Nous avons été récemment tous choqués des déclarations fracassantes et totalement inacceptables de l'ambassadeur Edmond Mulet des Nations Unies qui prône une révision constitutionnelle à la hâte et sans discussions AVANT l'installation du président à élire le 20 mars 2011. Nous disons d'entrée de jeu que M. Edmond Mulet n'a rien à voir dans la Constitution des Haïtiens, malgré les multiples talents qu'on lui connaît, talents auxquels il semble vouloir ajouter celui de constitutionnaliste ou de constituant.
Nous profitons de cette occasion pour dire aux futurs députés et sénateurs que toute révision constitutionnelle votée par eux durant la 49ème Législature déboucherait sur des amendements frauduleux qui ne seraient pas reconnus par une large majorité de la communauté nationale, qui s'en tiendra au texte original de la Constitution de 1987, parce que de tels amendements auraient été obtenus à partir d'une déclaration de révision nulle votée le 14 septembre 2009 et qui de plus a un caractère frauduleux. Cette déclaration a des problèmes juridiques et des problèmes politiques. Nous en avons développé les causes de nullité dans un ouvrage intitulé : « La Constitution de 1987: La déclaration de révision est nulle », dont une seconde édition est en préparation et qui nous espérons, sera prête pour la prochaine rentrée parlementaire. Les causes de nullité, au nombre de six, que nous avons relevées et discutées dans notre livre disponible en librairie sont les suivantes :
1-Absence de motifs- Les amendements proposés ne sont pas motivés, comme le veut la Constitution. La déclaration de révision est simplement précédée de motifs vagues et généraux qui n'expliquent nullement le pourquoi des amendements proposés.
2- La déclaration de révision prend la forme d'une simple Résolution, document à caractère non obligatoire. Les deux dernières déclarations de révision, régulièrement votées, c'est-à-dire celles de 1949 et 1913, ont pris la forme d'une loi, publiée au Moniteur. Nous avons reproduit ces deux lois de révision dans notre livre pour l'édification du public.
3- Les parlementaires dans leur déclaration ont visé la proposition du Pouvoir Exécutif qui leur a été transmise le 4 septembre, laquelle n'a jamais été discutée en assemblée, pour travailler sur un autre document préparé au Palais National avec l'Exécutif lors d'une session de travail marathon le jour même du 14 septembre 2009. Les parlementaires ont donc visé un document sur lequel ils n'ont pas travaillé et travaillé sur un document qu'ils n'ont pas visé.
4- Le texte publié dans le Moniteur le 6 octobre 2009 ne correspond ni à ce que le Sénat à voté, ni à ce que la Chambre a voté le 14 septembre 2009. La discordance entre ce que chacune des chambres a voté ce jour-là devrait suffire pour invalider cette déclaration. Voilà qu'un texte corrigé par la main de on ne sait trop qui, paraît dans le Moniteur du 6 octobre 2009. Cela s'apparente à un faux en écriture publique. C'est une cause de nullité absolue.
5- La Constitution de 1987 parle de proposition de révision émanant du pouvoir exécutif, non de proposition de révision émanant du président de la République ou du premier ministre. Cette proposition de révision aurait dû faire l'objet d'une délibération préalable en Conseil des ministres avant sa transmission au parlement et aurait dû être signée de tous les ministres en poste à ce moment-là. Or cela n'a pas été le cas et le contseing ministériel manque.
6- Enfin, la Constitution de 1987 existe en deux versions authentiques, l'une en français, l'autre en créole, qui toutes deux ont été votées par l'Assemblée constituante de 1987 lors du vote de l'ensemble et qui sont égales. Dans leur précipitation, leur hâte et leur volonté de mal faire, le pouvoir de M. René Préval et ses alliés parlementaires ne se sont pas préoccupés de travailler sur les amendements de la version créole, et produire une version créole de la déclaration de révision en conformité avec la version française, ce qui implique que même si les causes de nullité précédemment énumérées qui affectent la déclaration en français n'existaient pas, on n'aurait pas le droit de toucher au texte créole. Si on le faisait, on se trouverait aussi dans la situation impossible où la version en français amendée de la Constitution dirait une chose, et où la version créole intacte parce que non-amendable, dirait autre chose. M. René Préval et ses parlementaires se sont complètement plantés ici. Nous ne pouvons rien pour eux.
Problèmes politiques
La révision constitutionnelle prônée par M. Edmond Mulet est également affectée de problèmes politiques. C'est un processus qui a été effectivement lancé par le président Préval en février 2009 avec la mise sur pied de la commission présidée par M. Claude Moïse qui a travaillé 6 mois. Il n'est un secret pour personne que M. Moïse travaillait pour le pouvoir en place et que le Président Préval tenait souvent la plume. Ce processus dans son ensemble a été placé sous le signe de la rapidité et de la semi-clandestinité. Peu de gens ont vu l'ensemble du rapport de la Commission Moïse. Peu de gens ont vu la proposition de révision effectivement transmise au parlement le vendredi 4 septembre 2009. Le grand public n'a pas été informé. Il semble que l'Exécutif ait voulu avoir une révision constitutionnelle en circuit fermé, alors que normalement d'éventuels amendements à la Constitution doivent bénéficier d'une publicité large et susciter un large débat national, car une révision constitutionnelle est toujours une affaire de la plus haute importance pour une nation. Au contraire, les amendements proposés ont été présentés au peuple haïtien un peu comme un lapin qu'un prestidigitateur tire d'un chapeau pour présenter l'animal à ses spectateurs. Ces amendements auraient dû avant d'être votés, être discutés en séance publique au parlement et non en séance privée au Palais National avec le pouvoir exécutif.
C'est une chose qui n'est pas conforme aux normes du droit parlementaire. De plus, on donne l'impression de traiter les citoyens haïtiens comme des mineurs, comme des quantités négligeables.
La déclaration de révision n'a pas été votée article par article comme le veut la Constitution pour l'adoption des actes parlementaires. Même si elle ne compte que deux articles par surcroît, elle a été votée sans disussions, ce qui est une autre irrégularité. La déclaration de révision a donc été votée en bloc au cours d'une séance nocturne expéditive, ce qui diminue la solennité qui doit entourer un acte d'une si grande portée politique en principe.
Nous avons dénoncé et combattu les amendements Moïse-Préval dans un petit fascicule paru en 2009 et intitulé « Des Amendements inacceptables », et nous avons dénoncé aussi dans le même ouvrage leur caractère anti-démocratique, sournois et subreptice. Dans toute cette affaire de révision constitutionnelle déjà tentée en 2007 par le chef de l'Etat et mise en oeuvre en 2009 par lui, il apparaissait à tous que ses intensions étaient impures à la base. La clameur publique lui prêtait, entre autres choses, le projet de se faire octroyer un 3ème mandat.
De plus, politiquement, les amendements qui sont publiés dans le Moniteur du 6 octobre 2009, reflètent la volonté politique du régime politique de M. René Préval qui est un régime en fin de vie, discrédité et désavoué par le peuple comme en ont témoigné les manifestations de protestations populaires des 8 et 9 décembre 2010. Ce serait immoral de faire passer des amendements constitutionnels patronnés par un pouvoir qui vient de subir un pareil désaveu de la part des citoyens et dont tout le monde y compris l'Ambassadeur Edmond Mulet, devrait tirer les conséquences. On ne peut d'une telle manière lier les mains d'un nouveau pouvoir politique à quelques jours de son installation en fonction. C'est l'empêcher de faire une révision constitutionnelle par les procédés corrects, qui servirait les intérêts de la Nation et qui répondait au désidérata des citoyens en la matière. En attendant, il faut absolument envoyer à la poubelle l'ensemble des amendements Préval-Moïse.
Le Président René Préval n'est en poste que parce qu'une majorité de secteurs nationaux se sont entendus pour lui accorder une rallonge de 96 jours à partir de 7 février 2011 à midi pour lui permettre de boucler en plein son mandat de 5 ans, afin d'éviter au pays une présidence provisoire du Juge Georges Moïse qui pourrait allonger inutilement la période de transition, ce qui serait nuisible au bon déroulement du processus démocratique qui n'a déjà que trop souffert.
Nous souhaitions que l'Ambassadeur Edmond Mulet lise attentivement notre article pour qu'il ne tombe pas dans une compréhension superficielle de la situation constitutionnelle haïtienne et qu'il ne plonge pas, par son zèle mal placé, le pays dans une crise constitutionnelle inextricable. Nous rappelons à M. Mulet, qu'il n'a aucune attache avec Haïti, que ce pays n'est pas le sien. Haïti n'a pas besoin de lui et de ses conseils pour régler ses affaires constitutionnelles qui sont de la compétence exclusive des Haïtiens. Les Haïtiens n'ont pas besoin de la «stabilité Préval» que l'Ambassadeur Edmond Mulet veut leur offrir.
Nous écrivons à la page 14 de notre ouvrage la Déclaration de révision est nulle : «La déclaration publiée dans le Moniteur n'engage ni la 49ème législature, ni les citoyens haïtiens. Sous peine de commettre une forfaiture et d'inclure à la Constitution de 1987 des amendements frauduleux, la 49ème législature n'à qu'une chose à faire, refuser de travailler sur cette déclaration nulle et irrecevable, la rejeter en bloc et passer ensuite à ses travaux législatifs ordinaires.
Le texte de la Constitution de 1987 n'a jamais été déverrouillé de manière correcte et ne peut être donc modifié, car la Déclaration en question est inopérante pour enclencher valablement la procédure de révision tracée par la Constitution.
Les citoyens ont pour devoir de rejeter d'avance des amendements constitutionnels frauduleux qui pourraient découler de cette déclaration de révision nulle et de refuser de les reconnaître. Accepter le contraire serait créer un très mauvais précédent dont ne manqueront pas de profiter tous les gouvernements à venir. Si on laisse passer le coup, ces gouvernements du futur feront voter «n'importe quoi n'importe comment», pour amender la Constitution au mépris de la procédure très stricte qui y est consignée pour sa révision.»
Nous écrivons encore plus loin à la page 53 du même livre : «on ne voit pas où les amendements proposés présentent un caractère impératif ou urgent », et aux pages 54 et 55 : « Nous pensons que les amendements proposés par la déclaration nulle du 14 septembre, 6 octobre 2009 peuvent représenter une base de départ sérieuse pour une réfléxion constitutionnelle non passionnelle, menée par des gens de l'art et à laquelle tous les citoyens pourront participer, et qui devrait conduire à un processus d'amendement effectué selon les normes constitutionnelles et selon les principes du droit, à initier par la 49è législature et à réaliser par la 50è Législature.
En aucun cas, la 49è législature n'a le droit de travailler sur une déclaration de révision nulle. Des amendements constitutionnels intempestifs, bâclés et mal fagotés ne feront aucun bien au pays. Personne n'y gagnera, nous sommes absolument clair sur ce point.
Nous tenons à lancer aux parlementaires de la 49è législature à venir un avertissement solennel qu'ils n'ont aucun intérêt à travailler sur une déclaration de révision nulle. Une déclaration nulle, on ne peut rien en faire, on doit tout simplement la mettre de côté. Il est trop tard pour la sauver. Tous les réformateurs sont actuellement forclos [...]
De plus ils doivent bien comprendre que les amendements frauduleux obtenus frauduleusement à partir d'une déclaration frauduleuse ne seront reconnus par personne et seront un jour balayés. La Constitution peut avoir quelques problèmes certes, mais il faut les régler à tête reposée, dans la concertation et le dialogue, non dans la politique du fait accompli. Il ne faut pas lancer le pays dans une aventure politique, pour vouloir essayer de les régler unilatéralement à sa manière. On ne comprend pas vraiment quel est l'enjeu des amendements proposés.
Ces amendements connaîtront le sort de la Constitution de 1918 qui nous fut imposée manu militari. Dès que les troupes d'occupation auront le dos tourné, le pays sera plongé dans une crise institutionnelle et politique majeure, probablement plus terrible que toutes celles que nous avons connues depuis 1986.
On pourra dire adieu pour longtemps à la stabilité politique qui est si chère au Président René Préval (et aussi à M. Edmond Mulet). Tout le monde perdra mais les problèmes resteront (et les Haïtiens en premier, M. Mulet quittera un jour nos rives, mais les problèmes resteront). Ce ne sera pas profitable au pays et ce n'est pas dans cette direction qu'il faut aller.
En cette matière de révision de la Constitution de 1987, le pouvoir en place n'a pas su convaincre les citoyens de la pureté de ses intentions ni de la justesse des amendements constitutionnels qu'il proposait. Nous sommes le premier à le regretter.»
Notre article s'adresse autant à M. Edmond Mulet, qu'aux candidats à la présidence M. Michel Joseph Martelly et la consoeur constitutionnaliste Mirlande Manigat et qu'aux députés et sénateurs.
Donc, défense de toucher à la Constitution de 1987, en dehors d'un processus de révision absolument régulier !
Dr. Georges Michel
Ancien Constituant de 1987
Pour un autre article du Dr. Georges Michel sur la question, voir: http://solutionshaiti. blogspot.com/2011/04/analyse- de-la-declaration-de-revision. html