Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH)
Juillet 2011
I. INTRODUCTION
Les différents gouvernements haïtiens qui se sont succédé au pouvoir ont toujours affirmé, à grands renforts de publicité leur volonté de combattre la corruption sous toutes ses formes. Cependant, force est de constater que la corruption continue à s’ériger en système au point qu’Haïti est, au cours de ces dix (10) dernières années, constamment classée parmi les pays les plus corrompus de la planète. En effet, l’administration publique haïtienne est caractérisée par le gaspillage, le copinage, le courtage et le détournement de fonds.
Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), préoccupé par la constance de cette situation, croit qu’il est de son devoir d’attirer l’attention des autorités actuelles sur la gestion désastreuse enregistrée au niveau de l’administration publique, notamment au niveau du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales.
II. SITUATION AU MINISTERE DE L’INTERIEUR ET DES COLLECTIVITES TERRITORIALES
Le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales compte, jusqu’au mois de mai 2011, mille neuf (1.009) employés réguliers ainsi répartis : trois cent cinquante cinq (355) affectés au bureau central, deux cent quatre vingt-trois (283) à la Direction de l’Immigration et de l’Emigration et trois cent soixante-onze (371) travaillant dans les délégations et vice-délégations. De plus, cent cinq (105) contractuels sont engagés par ledit Ministère dont vingt-six (26) consultants et vingt-quatre (24) conseillers.
Dans la liste des contractuels de ce Ministère figurent vingt et deux (22) anciens députés du bloc Concertation des Parlementaires Progressistes (CPP) qui se sont présentés aux dernières joutes électorales sous la bannière de la plateforme présidentielle d’alors, INITE. Ces derniers ont tous été engagés par le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales le 1er octobre 2010 pour un contrat expirant au départ du Ministre Paul Antoine BIEN-AIME. Ils reçoivent tous des émoluments mensuels estimés à cent mille (100.000) gourdes à l’exception du Député Richard Paul OLIVAR qui reçoit un salaire de quarante mille deux cent cinquante (40.250) gourdes.
Le tableau suivant fournit les informations relatives aux Parlementaires émargés au budget du Ministère susmentionné. Cliquez sur le tableau pour elargir:
Onze (11) des députés candidats à leur succession ont été réélus sous la bannière de la plateforme INITE et sont aujourd’hui membres du Groupe des Parlementaires du Renouveau (GPR). Pour sa part, François Lucas SAINVIL, ancien député de la quarante- huitième (48ème) législature, candidat au Sénat pour le département du Nord-ouest, a aussi été élu sous la bannière de la plateforme INITE. En dépit du fait qu’ils soient aujourd’hui en fonction, les douze (12) parlementaires susmentionnés continuent à émarger au budget du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales.
III. COMMENTAIRES
L’Etat haïtien a ratifié les Conventions interaméricaine et onusienne relatives à la lutte contre la corruption. Ce faisant, l’Etat haïtien s’est engagé à combatte toutes les formes de corruption dans l'exercice de la fonction publique ainsi que les actes spécifiquement liés à l'exercice de cette fonction. En effet, l’article III de la Convention Interaméricaine de Lutte contre la Corruption fixe en ces termes les objectifs poursuivis par les Etats parties à la Convention dans leur lutte contre la corruption :
Mesures préventives
Aux fins visées à l'article II de la présente Convention, les Parties conviennent d'envisager, à l'intérieur de leurs systèmes institutionnels, l'applicabilité de mesures destinées à créer, à maintenir et à renforcer:
1. Les normes de conduite pour l'exercice de la fonction publique de manière correcte, honorable et convenable. Ces normes viseront à prévenir les conflits d'intérêt, à assurer la préservation et l'utilisation appropriée des ressources confiées aux fonctionnaires dans l'exercice de leurs attributions, et à établir des mesures et des systèmes qui exigent des fonctionnaires qu'ils fassent rapport aux autorités compétentes sur les actes de corruption dans la fonction publique dont ils ont eu connaissance. Ces mesures contribueraient à préserver la confiance du public dans l'intégrité des fonctionnaires et dans la gestion de la chose publique.
2. Les mécanismes appelés à mettre en pratique ces normes de conduite.
3. Les directives données au personnel des organismes publics pour assurer qu'il
comprenne parfaitement ses responsabilités et les règles d'éthique régissant ses
activités.
4. Les systèmes de déclaration des revenus, avoirs et dettes par les personnes qui exercent des fonctions publiques nommément désignées par la loi et, quand il y a lieu, à rendre publiques ces déclarations.
5. Les systèmes de recrutement de personnel dans la fonction publique et d'acquisition de biens et services par l'Etat, conçus pour assurer l'accessibilité, l'équité et l'efficacité de ces systèmes.
6. Les systèmes adéquats de recouvrement et de contrôle des recettes de l'Etat visant à empêcher la corruption.
7. Les lois qui suppriment un traitement fiscal favorable à toute personne physique ou morale pour des dépenses effectuées en violation des lois anticorruption des Parties.
8. Les systèmes de protection des fonctionnaires et des particuliers qui dénoncent de bonne foi les actes de corruption, y compris la protection de leur identité, conformément à leur Constitution et aux principes fondamentaux de leur système juridique interne.
9. Les organes de contrôle supérieur, en vue de la mise en place de mécanismes modernes de prévention, de détection, de sanction et d'éradication des actes de corruption.
10. Les mesures visant à dissuader la corruption des fonctionnaires nationaux et étrangers, par le recours à des mécanismes qui assurent que les sociétés ouvertes et d'autres genres d'associations tiennent des livres et des registres reflétant avec exactitude et des détails raisonnables l'acquisition et l'aliénation des actifs des sociétés, et possèdent des contrôles comptables internes suffisants permettant à leurs officiels de dépister les actes de corruption.
11. Les mécanismes visant à encourager la participation de la société civile et des
organisations non gouvernementales aux efforts tendant à prévenir la corruption.
12. L'étude de mesures additionnelles de prévention qui tiennent compte des rapports entre une rémunération équitable et la probité dans la fonction publique ».
La gestion rationnelle et efficace des maigres ressources de l’Etat est une obligation mais non une faculté pour les responsables de l’Etat. L’administration publique ne doit en aucune façon être mise au service d’amis, de copains, de clans, de partis ou de regroupements de partis politiques.
Le fait par le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales de mettre sous
payroll des anciens députés au moment de leur campagne électorale s’apparente à une forme de détournement de fonds publics à des fins électoralistes en vue de fournir à ces derniers des moyens financiers dans le but évident d’acheter les urnes. Ces candidats ayant été engagés au moment où ils étaient tous en pleine campagne électorale, ne pouvaient avoir le temps de fournir au Ministère un quelconque travail.
Le Parlement est investi d’un pouvoir de contrôle sur l’action gouvernementale. En ce sens, plusieurs commissions travaillant sur des thématiques différentes dont la
corruption, sont créées. Quelle est la fiabilité des travaux réalisés par ces commissions, particulièrement, par la commission anticorruption lorsque même le président de la chambre des députés qui se devait d’être un modèle figure lui aussi sur la liste des fonctionnaires émargés au Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales.
De plus, l’Etat Haïtien accuse des arriérés de salaire de plusieurs années à des
instituteurs, des professeurs, des membres du personnel de santé et des employés des collectivités territoriales. Et pourtant, le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales fonctionne avec vingt-six (26) consultants et vingt-quatre (24) conseillers comme agents contractuels qui touchent des émoluments dépassant largement le salaire des cadres réguliers de l’administration publique comme les directeurs généraux, les membres du Cabinet particulier du Ministre concerné à l’exception du Directeur du Cabinet et de trois (3) autres membres dudit Cabinet. C’est aussi parmi ces contractuels que figurent les vingt-deux (22) Parlementaires susmentionnés pour lesquels le Ministère débourse mensuellement un total de deux millions cent quarante mille deux cent cinquante (2.140.250) gourdes. Cet état de fait qui viole le principe du libre accès de tous à la fonction publique, est d’autant plus révoltant que ces Parlementaires ont déjà des indemnités et autres privilèges importants alors qu’ils reçoivent un « salaire » parallèle pour lequel ils ne fournissent aucun service.
Selon les Conventions interaméricaine et onusienne sur la corruption auxquelles Haïti est partie, la gestion faite par le Ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales, Paul Antoine BIEN-AIME constitue un acte de corruption. De plus, la Constitution que ces Parlementaires ont juré de respecter dispose en son article 129.1 que : « La fonction de membre du corps législatif est incompatible avec toute fonction rétribuée par l’état sauf celle d’enseignant. »
Fort de toutes ces considérations, le RNDDH recommande au Président de la République, garant de la bonne marche des institutions de l’Etat de :
√ Mobiliser les institutions haïtiennes spécialisées dans les enquêtes financières, telles que l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF), la Cour Supérieur des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) et l’Inspection Générale des Finances, en vue de mener les investigations relatives à ces cas de corruption ;
√ Traduire par devant les instances judiciaires, toute personne impliquée dans des actes de corruption et de malversation au niveau de l’administration publique en général et du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales en particulier, conformément aux articles 137 et 140 du Code Pénal Haïtien.