Dans l’euphorie rêveuse de certains à voir émerger tout de suite une meilleure Haïti, la hâte enthousiaste de certains à affirmer leur talent en Droit public, et enfin dans le cynisme manipulateur d’autres à faire avancer coûte que coûte leur agenda politique mesquin et inavouable, les défenseurs de la « loi constitutionnelle du 9 mai 2011 » ne se sont pas rendu compte que toute leur construction autour de ce qu’ils appellent la constitution amendée n’est qu’un château de cartes ; et que la Constitution haïtienne de 1987 est bel et bien en vigueur ! Au moins, pour le temps de la 49eme législature, cet outil institutionnel de 1987- appelons-le désormais l’Illustre Rebelle-continue souverainement de s’imposer à tous et d’être opposable à tous.
Avant que le pays ne sombre dans l’anarchie totale et le renforcement de la détestable tutelle étrangère, il est important et urgent que nos décideurs politiques et nos spécialistes du droit, qui défendent la thèse de l’aboutissement effectif du processus d’amendement, se plient à cette réalité incontournable et incontestable que de très nombreux compatriotes, entre autres les anciens constituants docteur Georges Michel et madame Madame Odette Roy Fombrum, ou le linguiste Robert Berrouët-Oriol, ont signalée ou rappelée à tous (voir, entre autres, Le Nouvelliste des 22 et 2 mai, et du 15 avril 2011). Et cette réalité, répétons-le, est le fait que, même si certains prétendent qu’il y a eu amendement au texte de la Constitution haïtienne en français et trouvent maints arguments pour corroborer leur thèse, le texte de la Constitution haïtienne en créole a toujours été et demeure en vigueur. Et même dans l’hypothèse de la mise à l’écart du texte en français, la Constitution haïtienne en créole continue de vivre et d’occuper le sommet de la hiérarchie des lois, conventions et actes administratifs de la République d’Haïti pour plusieurs raisons :
1) En termes de procédure révisionnelle, la Constitution haïtienne de 1987 est de nature rigide. Cela signifie qu’elle contient de nombreux verrous visant à la protéger d’éventuels saboteurs et aventuristes, garantir la préservation de notre indépendance souveraine et assurer le développement et le renforcement graduel de nos institutions dans la paix, la démocratie effective et l’harmonie sociale. Subséquemment, sa révision requiert la levée intégrale, régulière et constitutionnelle de tous ces verrous par des autorités régulières et compétentes agissant en toute responsabilité patriotique.
2) la Nation haïtienne s’est octroyé la constitution de 1987 en double :
a. la constitution haïtienne en français ;
b. la constitution haïtienne en créole.
3) La Constitution haïtienne de 1987 en créole et en français a reçu une double ratification
a. Le vote de l’Assemblée constituante qui a conduit ses travaux, voté, approuvé et signé son œuvre dans des conditions largement transparentes et démocratiques;
b. Le vote référendaire du 29 mars 1987 où le Peuple National, en très grand nombre et avec un taux de participation écrasante a approuvé simultanément les deux textes et les a tous deux revêtus de son autorité suprême et souveraine, et où il a aussi conféré à chacun d’eux l’autonomie d’existence. La constitution haïtienne, dans sa double copie, est donc, conformément à la théorie de la souveraineté nationale et étatique, l’expression la plus authentique et la plus énergique de la Volonté Nationale. Aucun élu, aucune assemblée formée de représentants de la Nation ne peut, en un revers de main, à la faveur de l’obscurité de la nuit, à la dérobade, et sans tenir compte littéralement de la procédure établie par cette Volonté, modifier valablement un iota à cette même Volonté Nationale.
4) Sur le plan du droit constitutionnel, les deux textes sont donc d’égale valeur juridique, car le Créole et le Français sont les langues officielles de la République (art.5). Cela signifie que, en raison de l’émanation jumelée et simultanée de ces deux textes du Peuple Souverain haïtien exerçant exceptionnellement, démocratiquement et de manière directe son Autorité politique et législative suprême par voie référendaire en 1987, la présente constitution haïtienne est un corpus juridique double ; que ses deux textes constitutifs sont identiques ou interchangeables dans leur application et dans leurs effets; que le Pouvoir Législatif ou le Pouvoir Exécutif ne peut proposer à l’amendement et que de fait le Pouvoir Législatif ne peut validement amender la Constitution haïtienne que dans son entièreté double ou dans son unité double; mais que, en aucun cas, l’acte d’abolir ou d’amender l’un des deux textes de la Constitution haïtienne n’entraîne nullement l’abolition ou l’amendement automatique de l’autre, car les deux ont une force juridique identique et l’un n’est pas par ailleurs le simple décalque de l’autre ; c’est là un effet juridique aux immensités insondables dû au statut de l’unité double de la Constitution haïtienne de 1987. D’ailleurs, ce n’est pas sans raison que, mettant de côté le concept traditionnel de « Révision » au profit de celui de « Amendement », les constituants de 1987 ont mis ce dernier concept au pluriel dans le titre XIII portant « Amendements à la Constitution » (art 282-284.4). Il découle de tout cela que tout acte d’amendement d’un seul des deux textes de la Constitution de 1987 est nul et non avenu pour incomplétude du processus de déverrouillage légal (de la Constitution de 1987).
5) Sur le plan politique et social, les deux textes sont aussi d’égale valeur politique. Cela veut dire que la fraction du peuple national non alphabétisée, plus de 80%, qui représente la majorité écrasante de la population et qui ne parle pas français, compte au même degré que la minorité des lettrés et francophones du pays ; que le vote des uns compte au même titre que le vote des autres; que, la Constitution de 1987, en reconnaissant à juste titre par voie référendaire le Créole comme la langue de l’unité Nationale (art 5) a introduit dans nos mœurs un bel et indispensable esprit de civilité, d’“unité” et donc de progrès qui doit combattre chaque jour davantage l’exclusion institutionnalisée et légalisée aux dépens des masses paysannes et urbaines; qu’il y a lieu de réhabiliter dans notre Loi-mère la culture créole; que le texte créole de la Constitution haïtienne en créole est l’expression de la volonté nationale d’entreprendre et d’assurer la décentralisation et l’accumulation du Capital National en prenant en compte aussi son unité administrative créole de base, à savoir la Section communale (art.64) ; qu’il y a lieu d’accorder l’égalité de traitement à la ville et à la campagne, aux citadins et à la paysannerie, aux riches et aux pauvres, aux puissants et aux faibles, aux haïtiens noirs, blancs et mulâtres; que nous ne pouvons plus nous voiler la face sur le fait que la Langue Créole est sans conteste le vrai véhicule quotidien de la communication et donc de la vie en Haïti. Tout amendement qui porte exclusivement sur le texte en français emporte la peine du «crime de haute trahison » (art.21) pour ses auteurs parce qu’un tel amendement est une « atteinte au caractère républicain et démocratique de l’État » haïtien (art. 284.4).
6) Sur le plan Moral et esthétique- La Constitution de 1987 est, dans son esprit et dans sa lettre, le canon suprême de référence morale de la République d’Haïti. Elle requiert de « ceux [qui] sont chargés de la faire respecter », et qui doivent être des modèles de diffusion d’images esthétiques, démocratiques qui projettent la dignité et la puissance de l’État, le respect des principes constitutionnels ainsi que la clarté et un degré de transparence et de décence conforme à la solennité et à la publicité qui doivent impérativement entourer une activité républicaine de l’envergure de l’amendement de la Constitution nationale.
7) L’acte voté par l’Assemblée Nationale le 9 mai 2011 est naturellement inférieur à la Constitution haïtienne de 1987 encore en vigueur. Parce qu’elle porte exclusivement sur le texte en français qui ne fait aucune référence formelle et expresse à la Constitution en créole, émanation directe du Peuple Souverain, et parce que le texte en créole n’a pas été expressément proposé et soumis à l’amendement, la loi constitutionnelle votée le 9 mai 2011, eut-elle été ou sera-t-elle mise en vigueur, est et restera toujours bien inférieure à la Constitution en créole qui pourra toujours abroger automatiquement tout acte que les responsables de l’État aura pris sous l’empire de cette loi constitutionnelle du 9 mai 2011.
8) Les vices de forme de la procédure d’amendement art. 282-283). Bien que l’incomplétude du déverrouillage légal de la Constitution à elle seule invalide toute la procédure de l’amendement, il est bon de signaler que les nombreux vices de forme de la procédure ont introduit des facteurs excessivement aggravants qui ne laissent aucune porte au compromis quant à l’impossibilité pour les Pouvoirs établis de continuer d’avancer la procédure d’amendement.
Sans entrer dans des détails savants mais gratuits, voici quelques-unes des questions simples mais capitales et incontournables qui mettent fin au débat de ceux qui parlent de loi constitutionnelle publiée dans Le Moniteur et donc en vigueur ou qui parlent de correction de la vraie loi votée par l’Assemblée nationale le 9 mai 2011 et qui doit être publiée dans Le Moniteur :
1) La Constitution haïtienne en créole votée par l’Assemblée Constituante de 1987 et adoptée par voie référendaire en même temps que la Constitution haïtienne en français a-t-elle été aussi proposée à l’amendement par la 48eme Législature qui a voté en septembre 2011 une proposition d’amendement du texte français ? Si oui, la 49ème législature a-t-elle voté cette proposition d’amendement de la Constitution haïtienne en créole ? Le texte voté a-t-il été envoyé dans les formes requises au président de la République pour être publié dans Le Moniteur? A-t-il été publié ?
Réponse : NON.
Avec ce petit mais puissant NON, toutes les constructions savantes de nos spécialistes du droit public en faveur de la Loi constitutionnelle du 9 mai tombent comme un château de cartes. Mais la suite du questionnaire ne leur est pas non plus favorable :
2) La Loi constitutionnelle du 9 mai 2011 votée par la 49ème correspond-elle en tout et pour tout à la loi proposition d’amendement à la constitution haïtienne votée par la 48ème Législature ?
Réponse : NON.
La 49ème pouvait-elle substituer sa propre proposition d’amendement à la proposition d’amendement votée par la 48ème ?
Réponse : NON.
3) Le texte que l’Assemblée Nationale de la 49ème Législature a voté et qu’on appelle Loi constitutionnelle est-il, dans son Préambule et dans ses articles, en tout et pour tout, le texte paru dans Le Moniteur le 13 mai 2011 ?
Réponse : NON.
4) Est-il vrai que le texte paru dans Le Moniteur le 13 mai 2011 est le texte que l’Assemblée Nationale avait hâtivement voté le 9 mai 2011 ?
Réponse : NON.
5) Le texte voté par l’Assemblée Nationale le 9 mai 2011 et le texte publié dans Le Moniteur le 13 mai étaient-ils les deux seuls projets d’amendement sur les quels le Parlement et/ou l’Exécutif s’est penché ou qui a pris corps entre septembre 2010 et aujourd’hui ?
Réponse : NON.
6) Le Président et son gouvernement actuellement en poste peuvent-ils juridiquement publier aujourd’hui la loi constitutionnelle votée par l’Assemblée Nationale le 9 mai 2011 mais qui n’a pas été publiée par le Président et son gouvernement alors en poste, ce 9 mai, au-delà de leur mandat constitutionnel, lequels Président et gouvernement avaient plutôt publié dans Le Moniteur un texte non voté par l’Assemblée Nationale ?
Réponse : NON.
7) Le Gouvernement Martelly/Bellerive (c’est de cela qu’il s’agit juridiquement au regard de la responsabilité de l’Exécutif et de la solidarité de l’action gouvernementale) peut-il aujourd’hui publier dans Le Moniteur une Loi Constitutionnelle revue, corrigée, augmentée ou diminuée après le 14 mai, date d’entrée en fonction du nouveau Président de la République et prétendre que le processus d’amendement s’était achevé avec le vote du 9 mai à l’Assemblée Nationale, donc sous le Gouvernement de M. René Préval, que subséquemment M. Matelly n’est pas le « Président sous le gouvernement de qui l'amendement a eu lieu » ?
Réponse : NON.
Le Président Martelly peut-il, sans autre forme de procédure, sans une enquête sérieuse sur ce grave scandale de l’amendement, cosigner et publier dans Le Moniteur, c’est-à-dire solidairement avec le gouvernement de M. Bellerive lequel avait déjà cosigné avec M. Préval le texte du 13 mai, une soi-disant loi constitutionnelle revue corrigée, ajustée et donc amendée ?
Réponse : NON.
Etc.
Mise en garde aux compatriotes
La solution à la présente crise constitutionnelle haïtienne ne se trouve pas dans les arrêts des conseils d’état étrangers, ni dans la cour suprême des États-Unis, ni dans les grandes doctrines des grands professeurs étrangers, encore moins dans le conseil constitutionnel prévu dans la plupart des propositions d’amendement qui créent l’imbroglio dans lequel certains se perdent. Cette solution a été bien longtemps donnée par de nombreux patriotes haïtiens sages et soucieux du Bien Public : il faut tout simplement constater la nullité de tout le processus d’amendement et réaffirmer la vitalité de la Constitution de 1987. C’est la une décision de sagesse que les parlementaires et le président de la République ont l’obligation de prendre immédiatement pour épargner à la Nation des suppléments de turbulence et d’ignominie qui risquent de nous enlever le peu qu’il nous reste de Nation indépendante, détentrice de son propre territoire et assumant son propre destin. Les pouvoirs publics pourront bientôt prendre les dispositions pour assurer un travail d’amendement régulier dans les 5 ou 6 années à venir…
Attention, des affairistes, des prédateurs et mercenaires de tout poil guettent et sont prêts à foncer sur tout ce qui reste à dépecer d’Haïti.
Il appartient aux patriotes de la diaspora de savoir attendre un peu; à ceux vivant sur le sol national et qui rêvent d’être membres du conseil constitutionnel de faire autant ; les femmes n’ont pas besoin d’un 30 % dans la constitution pour que leur droit soit promu. Les 30% c’est quand même la consécration légale implicite de leur infériorité. C’est plutôt dans les faits qu’il faut assurer leur promotion. Quant à nos spécialistes du Droit public, je les invite à faire preuve de sagesse pour corriger leur tir, reconnaitre que la Constitution haïtienne de 1987 sous le régime de laquelle le nouveau Président a prêté serment (art. 284.2), est bien en vigueur ; je les invite aussi à contribuer en toute probité intellectuelle à l’éducation civique de la Nation.
En fait, si le travail de l’amendement résiste aujourd’hui encore ou devait continuer à résister demain, c’est tout simplement parce qu’il a le soutien de la force et de quelques puissants de notre pays ou d’ailleurs. Soyons donc tous sages pour nous serrer les rangs derrière la Constitution de 1987, notre rempart contre les dérives mortelles qui nous menacent.
Aucun constitutionnaliste, aucun spécialiste de Droit Public, aucun législateur, aucun juriste, aucun professeur de droit ne peut relever le défi consistant à prouver que la constitution haïtienne en créole de 1987 n’est pas en vigueur. Cette constitution jouit du bénéfice de la réfutabilité impossible de l’existence plausible, continue, non dénoncée et non amendée dont a joui le texte créole pendant le processus d’amendement dans lequel les pouvoirs exécutif et législatif s’étaient engagés. L’acte d’amendement portant exclusivement sur le texte en français et s’étant opéré dans des conditions viciées graves-dont certaines sont reconnues même par les parlementaires eux-mêmes-est automatiquement frappé de nullité pour incomplétude du déverrouillage par la 48ème législature de l’acte référendaire de 1987 qui existe en double.
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