Les derniers jours de la marche inexorable du gouvernement Préval-Bellerive vers la fin de son mandat ont été marqués par l’attente patriotique du peuple haïtien, vivant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, de l’aube du 14 mai 2011; jour nouveau dans les annales de la prise du pouvoir en Haïti. Cette expectative se teintait d’un sentiment d’angoisse car sa concrétisation dépendait de la publication des amendements votés à la Constitution de 1987. En effet, nombre des filles et fils d’Haïti étaient restés, près de quarante-huit heures, accrochés à leur récepteur radio ou à leur ordinateur pour écouter, de par le monde, ou encore devant leur téléviseur pour suivre en direct le déroulement des débats de l’Assemblée Nationale, chargée de statuer sur l’amendement de la Charte Fondamentale de la Nation, après près de vingt-cinq ans de rudes épreuves. Durant les 8 et 9 mai 2011, les parlementaires haïtiens s’adonnaient à leur plus noble tache, dans le plein exercice de la souveraineté nationale dont ils sont les seuls dépositaires. La Nation Haïtienne, les ayant bien observés, leur en sera-t-elle reconnaissante?
En effet, demeure encore bien imprégnée des discussions houleuses qui martelaient l’enceinte provisoire aménagée en Palais Législatif, la mémoire de tous ceux-là qui se sont intéressés au sort réservé à la Loi Mère par cette 49ème Législature qui, de par ce seul évènement, aura marqué notre histoire constitutionnelle et dont le comportement aura servi aussi d’indicateur de la maturité politique des principaux acteurs de l’Haïti contemporaine. Les prises de position enflammées se succédaient autour des grandes questions sociales et politiques qui agitent la vie nationale. Sur le plan de la participation citoyenne, la double nationalité réclamée par les communautés d’Haïtiens et d’Haïtiennes vivant à l’étranger occupait l’esprit de tous et de toutes ainsi que la représentation équitable des femmes dans la vie nationale tandis que les enjeux politiques gravitaient autour d’autres intérêts comme le délai d’interpellation du Premier Ministre, l’instauration du nouveau Conseil Constitutionnel ou la mise en place d’un Conseil Electoral Permanent, ...
Par ailleurs, les efforts du Sénateur Steven Benoit pour faire modifier l’article 129.6 en son deuxième alinéa, afin de pouvoir interpeller un Premier Ministre «ayant obtenu un vote de confiance dans un délai de six(6) mois après ce vote de confiance», avaient aussi fortement émoussé l’attention de l’auditoire. C’était bien l’un des rares moments de beaux débats parlementaires qui semblaient empreints d’un certain souci d’accorder au Premier Ministre la chance d’effectuer son travail et d’être évalué en connaissance de cause. Ces instants avaient créé l’illusion que la population pouvait compter sur le désir patriotique des membres du Pouvoir Législatif de ne pas se donner pour seul mandat la tâche d’entraver l’action gouvernementale. Pourtant, les tractations concernant l’harmonisation des mandats des élus, ou encore l’impossibilité pour les Parlementaires de modifier la durée de leur mandat et même la possibilité de deux mandats présidentiels successifs avaient failli provoquer l’annulation pure et simple de tout le processus.
Quel téléspectateur ou auditeur ne se souvienne des revirements de dernière heure qui avaient abouti, avec la procédure inédite et irrégulière de reprise du vote, à l’abandon des amendements visant à harmoniser les mandats de tous les élus à cinq ans, dans le but de réduire les dépenses électorales, ainsi que la possibilité pour un Président en exercice d’être immédiatement candidat à sa propre succession. Malgré tout, peu avant l’heure fatidique de Minuit, la mise fut sauvée et l’Assemblée Nationale déclarait solennellement qu’elle avait statué et effectué son œuvre d’amender la Constitution de 1987. La Nation entière en gardera le souvenir et l’Histoire d’Haïti retiendra le nom de chacun des acteurs notoires de cette période décisive de notre vie de peuple!
Ainsi, après le suspens de la conclusion des travaux de l’Assemblée Nationale le 9 mai 2011, le peuple haïtien tout inquiet attendait encore. En effet, la non publication des amendements votés avant le départ du Président sortant, Monsieur René Préval, aurait entravé l’entrée en vigueur de ces modifications à l’installation du nouveau Président de la République, Monsieur Joseph Michel Martelly. C’est donc pour respecter ce délai que le Journal Officiel, Le Moniteur, data du vendredi 13 mai 2011, son exemplaire au no. 58, un «Numéro Extraordinaire» intitulé «Loi Constitutionnelle». Pourtant, ce fut avec stupéfaction que tous les secteurs de la vie nationale allaient découvrir, à la lecture, que les amendements publiés n’étaient point l’expression de ceux-là qui avaient été votés, sous les feux des caméras, sous les yeux des journalistes, au vu et au su de la Nation et du monde entier. Coup de théâtre ou coup de massue?
Pour avoir été les témoins privilégiés des conditions dans lesquelles ces amendements avaient pris corps, grâce au service fourni par les infatigables agents du quatrième pouvoir en garantie du droit à l’information, les haïtiens et les haïtiennes ainsi que tous les secteurs, nationaux et internationaux, ont dû, par surcroit, souffrir l’indignation de la dénonciation effectuée par des Parlementaires eux-mêmes, de la publication d’un document, tout autre, différent de celui qui comportait les résultats de leurs débats, matérialisés en amendements dûment votés. Pour comble, la minute se serait même volatilisée; ainsi, il n’en resterait que copie. S’il faut appeler un chat un chat, un document altéré s’appelle bien un faux; une minute subtilisée constitue bien un détournement, un vol! Et, de quel document s’agit-il: de la minute qui matérialisait cet évènement national, la modification de la Constitution de 1987, fondement de la démocratie en Haïti!
Il y a flagrant délit. Le peuple réclame justice. C’est un «Crime d’Etat»!
En effet, le Sénateur Mélius Hyppolite, en l’occurrence Deuxième Secrétaire du Sénat à l’Assemblée Nationale, s’indignait devant la presse, preuve à l’appui, de ne point retrouver au niveau de la publication au Journal Officiel, sa signature apposée tant pour lui que pour le Sénateur Pierre Franky Exius, lui-même Premier Secrétaire, au bas de la Déclaration du Corps Législatif portant les sceaux respectifs du Président du Sénat de la République et de la Chambre des Députés, en application de l’article 99 de la Constitution de 1987 en ce qui a trait à la composition du Bureau de l’Assemblée Nationale. Ce premier document présenterait six signatures dont celles des deux parlementaires déjà mentionnés, quatre autres y figurant aussi comme celles du Sénateur Jean Rodolphe Joazile, Président de l’Assembléee Nationale; du Député Sorel Jacinthe, Vice-Président de l’Assemblée Nationale; du Député Guy Gérard Georges, Premier Secrétaire ainsi que de la Député Marie Jossie Etienne, Deuxième Secrétaire.
De son coté, Le Moniteur publiait, au bas de la page 15 de son No. 58 avec le seul sceau du Président du Sénat de la République, seulement quatre signatures comme étant celles de Jean Rodolphe Joazile, Président de l’Assemblée Nationale; Sorel Jacinthe, Vice-Président de l’Assemblée Nationale; Pierre Franky Exius, Premier Secrétaire de l’Assemblée Nationale; et Guy Gérard Georges, Deuxième Secrétaire de l’Assemblée Nationale. Avant même de chercher à comprendre ce qui serait diffèrent à la lecture des deux documents et d’essayer de déterminer si manipulation de texte il y aurait eue ou s’il s’agirait d’«erreurs matérielles», le faux est caractérisé par la différence produite au niveau des signatures des documents. S’agirait-t-il «d’erreurs matérielles au niveau du texte», les signatures ne concorderaient-elles pas dans les deux documents? Si, au contraire, manipulation de document il y aurait eue, ne faudrait-il pas se demander à quel niveau ce crime aurait-t-il été perpétré: depuis les abris provisoires du Palais Législatif, à travers les courroies de transmission du Palais National ou dans les ateliers d’impression des Presses Nationales?
Comment la Nation prétendrait-elle aller de l’avant sans élucider les conséquences explicites et implicites, découlant de ce Crime d’Etat, qui interdisent toute application d’une quelconque politique de l’autruche?
D’aucuns tenteraient de se convaincre qu’il s’agit «d’erreurs matérielles» qui seraient réparables. Appel donc est lancé aux juristes, assistance donc est réclamée des constitutionnalistes, défense de la nation est attendue de tous les fils et de toutes les filles d’Haïti!
La curiosité de n’importe quel citoyen concerné révèlerait plus de quarante cas «d’erreurs matérielles» à travers une centaine d’amendements, dont certains constituent des modifications, d’autres des omissions, des suppressions ou des additions. D’aucuns souhaitent réparer ces altérations en les qualifiant d’«erreurs matérielles». Si tel était le cas, il y a lieu de se demander comment y procéder; car la signature du chef actuel du Pouvoir Exécutif, en l’occurrence le Président Joseph Michel Martelly, ne peut y figurer. Car le vœu de la Constitution de 1987 est que le nouveau Président n’ait rien à voir avec le texte amendé, du point de vue de la procédure. On comprend bien pourquoi il ne fallait point attendre les dernières heures pour opérer ces modifications. En effet, si tout ceci avait était entrepris à temps, la procédure d’amendement aurait pu être finalisée dès le premier mai, par exemple, - pour citer une date buttoir acceptable. Il y aurait eu amplement temps pour que le Pouvoir Exécutif sortant puisse lui-même se rendre compte des erreurs matérielles éventuelles et procéder aux rectifications nécessaires. Y-a-t-il lieu de croire qu’on a voulu délibérément piéger le nouvel Exécutif?
A l’analyse, les différentes opérations de manipulation du texte constitutionnel s’appliquent au niveau des questions qui concernent, entre autres:
- La qualité de la nationalité d’origine, requise pour les principales fonctions électives et politiques: (arts. 12 ; 91 al. 1 ; 96 ; 135);
- L’harmonisation de la durée des mandats des élus (sauf à la présidence) afin de réduire la fréquence donc les coûts des élections (arts. 63 ; 68 ; 78 ; 90.1 ; 92 ; 92.1 al. 2 ; 92.3; 94.3 ; 94.5 ; 94.6 ; 95);
- La ratification du Premier Ministre: (arts. 98.3 ; 137).
On pourrait dire, sans risque de se tromper qu’il s’agit là des questions les plus importantes, ayant fait couler le plus de salive, ayant fait l’objet des négociations politiques les plus âpres.
Et s’il fallait céder à la pression de conclure qu’il s’agit «d’erreurs matérielles», ne point prendre en compte les faux en signatures, les manipulations évidentes et le vol de document historique, et ne point identifier les coupables ni les sanctionner, on pourrait rechercher les explications justificatives de certaines modifications telles que celles opérées au niveau de la reformulation des visas et des considérants retenus par le Corps Législatif. On devrait mieux comprendre le statut de «loi constitutionnelle» conféré à l’amendement de la Constitution de 1987; une loi ne pouvant être abrogée que par une autre loi. En l’occurrence, ne faut-il pas saisir le sens de la déclaration du nouveau Président de la République qui avance qu’il revient au Pouvoir Législatif de s’occuper de tout cela, car il sait bien que son intervention dans la question serait lourde de conséquences. Mais si c’est une loi, toute action y afférente réclamera l’attention du Pouvoir Exécutif.
En fait «d’erreurs matérielles», certains cas pourraient bien être ainsi qualifiés, d’erreurs manifestes, glissées à dessein dans le texte, peut-être afin de mieux noyer le poisson. On en rencontre, par exemple, au niveau du nouveau Titre VI traitant du Conseil Constitutionnel, dernière innovation au nombre des Institutions Indépendantes en Haïti (arts. 190bis.1 en son premier paragraphe et al. a, b et c); ou encore l’omission du dernier membre de phrase de l’article 172.1 stipulant entre autres conditions pour être ministre, l’exercice d’une profession ou d’une industrie. Il faut signaler, en passant, que le texte publié n’a pas fait mention des conditions requises pour être Premier Ministre.
Si au travail de comparaison des deux textes, les omissions sont sous-jacentes, en revanche, l’évidence des additions soit de phrases ou carrément de nouveaux articles s’impose sans effort (arts. 87.2 ; 94.3 ; 94.4 ; 94.6 ; 98.3 ; 137 ; 190ter.11 ; 218 ; 264 ; 266 ; 267.2). En ce sens, la modification apportée à l’article 98.3 est un exemple de taille. En effet, le deuxième alinéa a été modifié afin de ranger au nombre des attributions de l’Assemblée Nationale, celle «de ratifier la politique générale du Premier Ministre». Les politologues pourraient bien épiloguer sur le sens exact de cette modification en vertu de laquelle, aujourd’hui, certains Parlementaires ont déjà déclaré attendre que le Président de la République convoque une Assemblée Nationale à cette fin. Pourtant, s’il y obtempère, le Président Martelly aura ainsi automatiquement mis l’amendement frauduleux en application; et la parenthèse de la recherche des auteurs, co-auteurs et complices de ce faux aura été fermée par ce même geste. Par ailleurs, d’autres modifications constituent la suppression de certains articles non modifiés, au niveau du texte publié (arts. 95.3 ; 137). De plus, l’exemple de la modification de l’article 90.1 telle que publiée démontre l’obligation impérieuse qu’il y avait de relire le texte au complet afin d’en vérifier l’essentielle harmonisation de son ensemble.
La confusion est si grande que l’on ne saurait dire lequel des deux documents serait purement conforme, sans manipulation aucune. Trêve de Confusion! A la recherche de la vérité, les deux documents doivent être mis de côté. Hélas! Il faut répéter le Parlementaire bien connu qui, dans un mouvement d’indignation, lâcha sa phrase, désormais célèbre: «Amannman an tonbe!». Oui, l’amendement porté à la Constitution de 1987 ne tient plus. Pourtant, s’il faut comprendre l’intérêt de certains pour exhumer l’amendement inexistant puisqu’il résulte d’un faux document, lesquels pensent que le Conseil Constitutionnel viendrait clarifier la question, il faut aussi questionner la magnanimité des membres de ce Conseil qui en est lui-même une émanation. Ces membres pourront t-ils se prononcer sur la nature et la valeur juridique de ce document, en leur âme et conscience, acceptant ainsi de mettre en péril l’existence même de la nouvelle Institution à laquelle ils appartiennent.
Tant de questions sans réponse, et tant d’autres questions qu’il faudrait encore poser! Pourtant, d’autres rétorqueraient: Qu’il nous faut avancer malgré tout car le peuple attend, qu’il s’agit donc de ménager tant la chèvre que le chou. Qu’il en coûterait trop de mettre de côté l’infâme amendement. Qu’il serait trop pénible pour nos frères et sœurs vivant à l’extérieur d’attendre encore un peu. Qu’il serait bien trop contraignant pour plus d’un de mener leur politique sous l’égide de la Constitution de 1987, en attendant la formation d’une Assemblée Constituante qui viendrait calmement réviser, en tenant compte de nos besoins d’aujourd’hui, notre Charte Fondamentale.
Autrement, comment récupérer un tant soit peu de notre dignité de peuple, de notre simple dignité de citoyen à chacun de nous. Seulement une solide investigation, en bonne et due forme, par une commission indépendante, émanant de la société civile, pourrait nous garantir la restauration de la fierté de l’Haïtien. Etre juge et parti est bien contraire aux principes démocratiques. Vérité au-delà. Erreurs en-deçà. Erreurs! Que de crimes commet-on en ton nom! L’impunité flagrante, jusqu’à ce niveau et au grand jour, non. Trop, c’est trop!
Si, sous prétexte qu’il faille aller de l’avant, certains insistent pour trouver un modus operandi qui permette de sauver la situation, il y a lieu de s’interroger. Jusques à quand les politiciens de tout acabit cesseront de prendre l’âme haïtienne en otage? Demande-t-on à nos frères et sœurs qui vivent dans les plus grandes démocraties du monde d’accepter qu’on leur accorde les droits qu’ils réclament légitimement sous la vile forme de l’escroquerie la plus puante, qu’ils participent ainsi à la toute dernière et la plus infamante violation de notre Constitution? Demande-t-on au nouveau Président qui a promis et de qui le peuple haïtien attend la rupture d’avec les tractations et les compromissions politiques, productrices de nos malheurs? Demande-t-on au Président de la République, Monsieur Joseph Michel Martelly, de s’accommoder de promesses de collaboration avec une charte souillée dont l’inapplication ne fera que handicaper son Gouvernement? On aura ainsi fait de lui, le complice de ce Crime d’Etat, à l’aube même de son quinquennat. Le terrain est miné. La Nation crie: Halte là!
Chantal Volcy Céant,
Citoyenne.
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