La société haïtienne se tient toujours debout grâce aux valeurs morales et religieuses qui déterminent encore la conduite d'une importante partie de notre population. Ceux qui se chargent de transmettre ce flambeau de valeurs comme les prêtres, les religieux et religieuses, les pasteurs et les éducateurs, en général, ne sont pas souvent appréciés à leur juste valeur. Parmi eux se range le regretté frère Anthony Mésidor du Sacré-Coeur, parti un peu trop tôt le 16 avril dernier. Il a exercé une influence considérable sur des milliers de jeunes Haïtiens.
Né le 12 juin 1937 à Duval, Pétion-Ville, le jeune Anthony Mésidor fait son entrée au Juvénat des Frères du Sacré-Coeur de Carrefour le 13 septembre 1955. Admis au Postulat le 2 février 1958, il fait sa première Profession le 15 août 1959 et 6 ans plus tard, soit le 15 août 1965, il prononce les voeux perpétuels. Durant ses 53 ans de vie religieuse, il a travaillé à l'oeuvre de l'éducation dans pratiquement toutes les maisons des Frères du Sacré-Coeur en Haïti. Le dernier des 19 postes qu'il a occupés a été : Responsable des Relations publiques à la Fraternité de Thomassin.
Le personnage a été fascinant à plus d'un titre. D'une jovialité naturelle, le frère Mésidor essayait des fois de se raidir le visage pour se donner un air sévère. Mais le musicien chez lui pouvait être sérieux mais pas sévère! En effet, à part le fait qu'il pouvait nous chatouiller les tympans de sa voix tenor, le frère Mésidor jouait avec brio du piano, de l'accordéon, de la guitare. Ses talents de musicien joints à ce sourire attrayant de bon enfant lui gagnaient l'amitié des jeunes comme des moins jeunes, des riches comme des pauvres. Son amour de la musique semble expliquer pourquoi il cherchait toujours à prendre la vie du bon côté.
Sa perception et son approche de la vie faisaient de lui un religieux original. Cette originalité lui a sans doute valu des critiques, mais ses méthodes ont porté leurs fruits. Comme la plupart des éducateurs, il se réjouissait de la réussite de ses anciens élèves, mais plus que les autres, il s'intégrait dans cette réussite pour la faire sienne. Cette intégration portait au moins deux de ses anciens élèves à prévoir dans le plan de construction de leur maison la « Chambre frère Mésidor », chambre qu'il utilisera de façon sporadique pour prendre momentanément congé de ses lieux réguliers de travail, soit pour se reposer, soit pour se recueillir ou encore pour achever certaines tâches. Fervent homme d'action, le frère Mésidor était ce père qui considérait l'ensemble de ses anciens élèves comme sa banque de références à laquelle il pouvait puiser soit pour donner des ailes à de « nouveaux-anciens » élèves qui ne peuvent encore voler tout seuls, soit pour résoudre certains problèmes courants de la Congrégation.
Ayant eu accès facile à nos divers bureaux publics, le frère Anthony Mésidor tenait le spirituel et le moral en parfaite connexion avec le temporel. Ce qui constitue, à notre avis, la potion presque parfaite pour maintenir une société en bonne santé. A l'ère de la théologie de la libération, le frère Mésidor ne s'alliait pas aux révolutionnaires qui, pensant changer Haïti avec fracas, semblent plutôt l'avoir irréversiblement naufragée. Le frère Mésidor était plutôt un révolutionnaire faisant un travail subtil de prévention, quand l'opportunité se présentait, auprès de ses anciens élèves en position de leadership. Adepte de la méthode « Castigat ridendo mores », il rira d'un événement triste ou malheureux découlant de la mauvaise conduite d'un homme. Paradoxal, dites-vous ! Pas trop vite, car après en avoir ri, il conclurait sentencieusement par des paroles de cette nature : « Frérot, il y a peu de chance que pareille conduite eût pu être tienne ou celle de tes hommes!». Il est alors clair que « Frérot », dans ses actions éventuelles, va tout faire pour ne pas tomber sous la sentence de cet ancien professeur qu'il a appris à respecter.
Chacun de nous est son propre homme. Mais l'éducation ne nous rend-elle pas flexibles et perméables à toute potion énergisante ? Le modèle «Homme Anthony Mésidor s.c.» « ingesté », digéré et appliqué en masse par nos éducateurs, en particulier par nos prêtres, nos pasteurs, nos religieux et religieuses, pourrait, sans bruit ni trompette, orienter notre société vers un pragmatisme balancé qui inclurait toutes les grandes valeurs humaines et chrétiennes.
La propension chez le frère Mésidor à voir son propre bonheur à travers le bien-être des autres l'a-t-il porté à négliger sa propre santé physique au point de ne faire cas à temps de cette maladie de la prostate qui le rongeait à petit feu ? Dieu seul le sait !
Une messe en mémoire du révérend frère Anthony Mésidor a été chantée à l'église Sainte-Thérèse de Lisieux à Brooklyn le 12 juin 2011, exactement le jour où il aurait accompli ses 74 ans. Au cours de la petite réception qui a suivi la messe, nous avons noté avec satisfaction que tous pratiquement lui reconnaissaient de grandes qualités d'humaniste. L'un d'entre nous eut même à dire : Le frère Mésidor était l'homme qui avançait en âge sans « être âgé ». Cette rencontre spéciale nous a offert l'occasion non pas de pleurer le départ du frère Mésidor, mais plutôt de célébrer sa vie, une vie bien remplie au service de la société haïtienne. Pour plus d'un, le frère Mésidor restera à jamais un mentor, un modèle !
Jean Robert Gabriel
Ancien élève du Juvénat-Collège
Et du Collège Canado-Haïtien
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