Santo Domingo – La Commission interaméricaine des droits de
l’homme (CIDH) a effectué une visite in loco en République Dominicaine du 2 au
5 décembre 2013, en réponse à une invitation de l’État. La visite a eu pour
objectif d’observer la situation concernant les droits à la nationalité, à
l’identité, à l’égalité, à la non-discrimination, ainsi que d’autres droits et
problèmes connexes. La Commission a mené à bien cette visite pour superviser
l’exécution des engagements internationaux contractés librement par l’État de
la République Dominicaine dans l’exercice de sa souveraineté.
La délégation était composée du Président, José de Jesús
Orozco Henríquez; de la Première Vice-Présidente, Tracy Robinson; de la Seconde
Vice-Présidente, Rosa María Ortiz, et de Dinah Shelton, Felipe González et Rose
Marie Antoine, ainsi que du Secrétaire exécutif, Emilio Álvarez Icaza L.; de la
Secrétaire exécutive adjointe, Elizabeth Abi-Mershed; du Rapporteur spécial
pour la liberté d’expression, Catalina Botero et du personnel du Secrétariat
exécutif. Pendant la visite, plusieurs délégations de la CIDH se sont rendues
dans les provinces de Bahoruco, Dajabón, Jimaní, La Romana, San Pedro de
Macorís, Santo Domingo et Valverde. La CIDH a tenu des réunions avec des
autorités de l’État, des organisations de la société civile, des victimes de
violations de droits de la personne et des représentants d’agences
internationales.
La Commission remercie le Président Danilo Medina, son
Gouvernement et le peuple dominicain de toutes les facilités qui lui ont été
offertes pour la réalisation de cette visite. En particulier, elle apprécie
l’appui que lui ont apporté les autorités du Gouvernement et des organisations
de la société civile et les en remercie. Elle salue et remercie tout
spécialement les 3 994 personnes qui sont venues présenter des témoignages, des
plaintes et des communications.
Moyennant cette visite, la CIDH a pu évaluer différents
types de progrès réalisés dans le renforcement des institutions démocratiques
et la protection des droits de la personne. En particulier, elle apprécie et
salue en tant qu’élément très positif l’incorporation directe dans le droit
interne, ayant valeur constitutionnelle, du droit international des droits de
la personne et de tous les engagements internationaux pris par l’État en la
matière, dans le cadre de la réforme de la Constitution de 2010.
Pendant sa visite, la Commission interaméricaine a reçu une
information préoccupante sur de graves atteintes au droit à la nationalité, à
l’identité, à l’égalité devant la loi et à la non-discrimination. Les
violations du droit à la nationalité, que la Commission avait observées lors de
sa dernière visite in loco, qui a eu lieu en 1997, se poursuivent, et la
situation s’est aggravée en raison de l’Arrêt TC 0168/2013 rendu par la Cour
constitutionnelle. Cet arrêt a eu pour conséquence qu’un nombre indéterminé
mais très élevé de Dominicains et de Dominicaines, estimé selon plusieurs
sources à plus de 200 000 personnes, ont été arbitrairement privés de leur
nationalité. Ces personnes se sont ainsi vu violer leur droit à la personnalité
juridique, et vivent dans des conditions d’extrême vulnérabilité. Cette
situation touche de manière disproportionnée les personnes d’ascendance
haïtienne, qui sont aussi des personnes d’ascendance africaine et souvent
identifiées par la couleur de leur peau, ce qui constitue une violation du
droit à l’égalité et à la non-discrimination.
La Commission estime que l’Arrêt de la Cour
constitutionnelle entraîne une privation arbitraire de la nationalité. Elle est
discriminatoire, étant donné qu’elle touche principalement des personnes
dominicaines d’ascendance haïtienne, qui sont des personnes d’ascendance
africaine; qu’elle les prive de nationalité de façon rétroactive; et qu’elle
rend apatrides les personnes qu’aucun État ne considère comme des nationaux,
aux termes de sa législation.
La privation arbitraire de la nationalité et la
non-reconnaissance de la personnalité juridique de ces personnes du fait
qu’elles ne sont pas enregistrées ou qu’elles ont du mal à obtenir des
documents d’identité crée une situation d’extrême vulnérabilité dans laquelle
se produisent des violations de nombreux autres droits de la personne. La
Commission fait observer que l’Arrêt 168/13 touche de façon disproportionnée
les personnes déjà sujettes à de multiples formes de discrimination, fondées en
particulier sur la race et la pauvreté. La CIDH a visité plusieurs villages
construits à même les plantations de canne à sucre (bateyes) dans divers
endroits du pays et a constaté les conditions de pauvreté, d’exclusion et de
discrimination dans lesquelles vivent leurs habitants. La pauvreté touche de
façon disproportionnée les personnes d’ascendance haïtienne et cela est en
rapport avec les obstacles auxquels elles se heurtent pour avoir accès à leurs
documents d’identité.
Dans un autre ordre d’idées, la Commission interaméricaine a
reçu une information très inquiétante sur des propos hostiles tenus à
l’encontre de journalistes, d’intellectuels, d’avocats, d’hommes politiques, de
législateurs, de défenseurs des droits de la personne, de personnalités
publiques, voire même de hauts fonctionnaires qui ont critiqué l’Arrêt de la
Cour constitutionnelle. Ces personnes ont été qualifiées de “traîtres à la
patrie”, ont fait l’objet de menaces et un appel a été lancé en public pour donner
la “mort aux traîtres”. La Commission s’est aussi dite préoccupée du fait que
l’intolérance et le discours raciste créent une ambiance qui exacerbe la
vulnérabilité des personnes d’ascendance haïtienne face à la violence. Elle a
lancé un appel aux autorités pour qu’elles contribuent résolument à la création
d’un climat de tolérance et de respect dans lequel les personnes peuvent toutes
exprimer leur pensée et leurs opinions sans craindre d’être agressées,
sanctionnées ou stigmatisées pour cette raison.
La Commission interaméricaine a effectué la visite qui se
termine aujourd’hui afin d’analyser directement la situation des personnes
touchées par l’Arrêt 168-13 à la lumière des normes du Système interaméricain
des droits de la personne. Selon son usage, elle fait aujourd’hui part de ses
observations préliminaires sur la situation compte tenu des résultats de la
visite qu’elle a réalisée, et exprime sa volonté de collaborer avec l’État à la
recherche de solutions qui protègent les droits fondamentaux et soient
conformes aux normes internationales en matière de droits de la personne.
Des autorités du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif
ont fait savoir à la Commission interaméricaine qu’elles reconnaissent
l’existence d’un problème concernant l’exercice du droit à la nationalité de
personnes d’ascendance haïtienne, et sont conscientes de la nécessité de
trouver une solution. À ce sujet, et soucieuse de collaborer à la recherche
d’une solution respectueuse des droits de la personne, la Commission souligne
que les mesures qui seront adoptées pour relever les défis portant sur le droit
à la nationalité qui ont été recensés, en particulier ceux qui ont été mis en
évidence par l’Arrêt 168-13 de la Cour constitutionnelle, devraient avoir les
caractéristiques suivantes:
1) Elles doivent garantir le droit à la nationalité des
personnes qui avaient déjà ce droit sous le régime interne en vigueur entre
1929 et 2010.
2) Elles ne peuvent exiger que les personnes ayant droit à
la nationalité, comme celles qui ont été “dénationalisées” en vertu de l’Arrêt
168-13, soient enregistrées en qualité d’étrangers comme condition de la
reconnaissance de leurs droits.
3) Elles doivent être générales et automatiques pour
garantir le droit à la nationalité des personnes lésées par l'arrêt 168-13. Ces
mécanismes doivent être simples, claires, rapides et justes. Ils ne peuvent
être discrétionnaires ni appliqués de façon discriminatoire.
4) Les mécanismes en question doivent être accessibles sur
le plan économique.
Enfin, la Commission souligne que toute personne a droit à
la protection et aux garanties judiciaires, de manière accessible et efficace,
pour sauvegarder ses droits à la nationalité, à l’identité, à l’égalité, à la
non-discrimination, qui constituent l’objet principal de la présente visite.
Une annexe est jointe au présent communiqué, laquelle
comporte les Observations préliminaires de la CIDH sur sa visite.
La CIDH est un organe principal et autonome de
l’Organisation des États Américains (OEA), dont le mandat est énoncé dans la
Charte de l’OEA et la Convention américaine relative aux droits de l’homme. La
Commission interaméricaine a pour mandat de promouvoir le respect des droits de
la personne dans la région et fait fonction d’organe consultatif de l’OEA en la
matière. Elle est composée de sept membres indépendants qui sont élus à titre
personnel par l'Assemblée générale de l'Organisation et ne représentent pas
leur pays d’origine ou de résidence.
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