LE CONTEXTE
Le 25 janvier 2007, au moment du vote de l’ordre du jour de la séance ordinaire du Sénat de la République, le sénateur Kelly Bastien a proposé l’inscription de deux (2) résolutions, l’une concernant un différend opposant des importateurs du Cap-Haïtien à la Banque Nationale de Crédit (BNC) et la seconde portant sur ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Société Caraïbéenne de Banque (Socabank) contre la Banque de la République d’Haïti (BRH). Une majorité des sénateurs présents ont voté pour que ces deux textes soient inscrits à l’ordre du jour de la séance, toutefois on doit souligner la remarque faite par un sénateur qui souhaitait être informé en tant que membre de la commission de finances avant de prendre en compte l’introduction de cette résolution dans l’ordre du jour. ( voir annexe 1).
Étaient présents à cette séance, les sénateurs dont les noms suivent :
Joseph LAMBERT
Edmonde SUPLICE BEAUZILE (Absente lors du vote)
Evelyne CHÉRON
Francois Fouchard BERGROME
Jean Joseph PIERRE LOUIS
Nenel cassy
Clerie Michel
Antoine René Samson
Mathurin Fequière
Huguette Lamour ( absente lors du vote)
Yvon Buissereth
Ultimo Compère
Wilbert Jacques
Beauplann Evallière
Rudy Hériveaux
Riché Andris ( est parti avant le vote)
Carlos Lebon
Youri Latortue
Kelly Bastien
Mélius Hyppolite
Eddy Bastien
La résolution Soca/Bank/ BRH introduit dans l’ordre du jour du 25 janvier 2005 a été votée par quatorze (14) voix pour, deux (2) voix contre et une (1) abstention.. Les sénateurs Huguette Lamour et Edmonde Suplice Beauzile mandatés après le vote de l’ordre du jour par le président pour aller régler le problème du report de la prestation de serment des sénateurs élus du Nord-Est étaient absents de la salle de séance au moment du vote et n’ont pas participé aux débats.
La résolution Socabank/BRH (annexe 02), faut-il le rappeler, est intervenue à un moment où le gouvernement de la république venait de nommer une équipe d’experts en droit bancaire pour assister l’Etat haïtien et l’aider à faire la lumière sur les manquements à la législation en vigueur dans le cadre de cette affaire (annexe 03). Il est à noter également qu’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la Socabank était programmée pour le mois de février 2007. Le point principal de cette Assemblée Générale était l’approbation du rachat de la Socabank par la BNC.
C’est dans ce contexte que le sénateur Gabriel Fortuné a cru bon de prendre la voix des ondes pour dénoncer certains de ses collègues qui d’après ses informations auraient été soudoyés par le citoyen Franck Ciné pour introduire et faire voter la résolution susmentionnée. Dans des interviews accordés à des stations de radio de la capitale le sénateur a fait de nombreuses autres déclarations accusant des parlementaires d’user de leur statut pour obtenir des visas auprès d’ambassades étrangères contre rémunération, ainsi que l’usage des véhicules officiels pour le transport de la drogue.--------------------------------------
LA COMMISSION-----------------------
Le Sénat de la République réuni en séance au Palais Législatif le 6 février 2007 a décidé de constituer une Commission Sénatoriale Spéciale d’Enquête (CSSE). (annexe 04)
A) Sa composition-----------------
Edmonde SUPLICE BEAUZILE Présidente
François BERGROME Rapporteur
Yvon BUISSERETH Membre
Jean Joseph PIERRE LOUIS Membre
Antoine René SAMSON Membre
(voir annexe 05)
B) Son mandat-------------------------
Le mandat de la Commission Sénatoriale Spéciale d’Enquête (CSSE) prévoit quatre axes d’intervention :
les allégations soulevées par le Sénateur Gabriel Fortuné relatives à certains parlementaires qui auraient reçu des pots de vin pour faire adopter une résolution favorable aux anciens actionnaires de la Socabank ;
l’implication de certains parlementaires dans le trafic de stupéfiants ;
la vente par certains sénateurs de visas pour des pays étrangers obtenus grâce à leur statut.
Le dossier des vingt trois million de gourdes (HTG23.000.000,00)
PROCÉDURES ET MÉTHODOLOGIE-------------------------------
La commission, comme prévoit les règlements intérieurs, a été doté d’un mandat et d’une mission. Ce mandat ayant été limité, très limité dans le temps, la CSSE n’a pas pu conduire une enquête approfondie sur chacun des sujets. En effet en huit (8) jours il est matériellement impossible d’effectuer tous les préparatifs pour permettre à la CSSE de travailler dans de bonnes conditions et d’enquêter sérieusement sur quatre sujets aussi délicats et complexes.
Ce mandat visant aussi, selon la compréhension de la CSSE, à faire la lumière sur des questions délicates qui ont déjà entaché négativement l’image de l’ensemble du sénat, il s’agira pour elle de conduire cette enquête de la manière la plus transparente que possible, l’un des objectifs connexes étant aussi de redorer le blason du sénat en tant que grand corps, de conduire cette enquête sans complaisance et de redonner confiance à la population dans ses élus en démontrant qu’il est capable, quand le besoin se fait sentir, de faire le ménage en son propre sein et de sanctionner s’il y a lieu les fautifs.
Elle procèdera donc de la manière suivante :
La CSSE entendra tous ceux qui, d’après elle, peuvent contribuer à la manifestation de la vérité ;
Tous les sénateurs en fonction à la date du vote de la résolution y compris les membres de la commission seront appelés à déposer devant la commission ;
Elle auditionnera tous ceux qui ont proféré des accusations ;
Elle sollicitera de qui de droit tous renseignements ou toutes informations susceptibles de l’aider à établir les faits, soit en les convoquant devant la commission ou en leur demandant des témoignages ou des dépositions écrites.
Il incombera à la CSSE de déterminer la forme dans laquelle elle demandera la déposition de chacun.
Pour garantir la crédibilité et le sérieux de l’enquête, la CSSE mènera celle-ci en audiences publiques qui pourront être diffusées en direct par les stations de radio et les chaînes de télévision. Cette procédure est en tout point conforme à ce qui se pratique dans toutes les grandes démocraties.
Toutes les séances même celles qui seront éventuellement tenues à huis clos, seront intégralement enregistrées.
La CSSE décidera souverainement à la majorité de ses membres si elle doit faire droit à une demande de huis clos.
Compte tenu de l’exiguïté de la salle d’audience le nombre de personnes admises sera strictement limité. La CSSE veillera à ce qu’il y ait dans la salle au moins un représentant de la presse parlée, un de la presse écrite, un de la presse télévisée, un de la société civile. Ils ne seront pas autorisés à poser des questions et devront assister à l’audience en silence sous peine d’expulsion de la salle.
Toutes les personnes invitées à déposer devant la CSSE pourront si elles le souhaitent se faire accompagner d’un conseiller de leur choix. Ce conseiller ne pourra pas prendre la parole mais aura la possibilité de leur fournir des notes et de brefs conseils.
Toutes les personnes invitées à déposer devant la CSSE seront tenues de se présenter et de répondre à toutes les questions qui leur seront posées.
Tous ceux qui déposeront devant la CSSE, le feront sous serment. Ils devront s’engager à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
À l’expiration du délai imparti, il est apparu que la CSSE ne pourrait matériellement pas soumettre un rapport valable, d’autant que toutes les auditions prévues n’avaient pas encore eu lieu. La CSSE a donc demandé au sénat, réuni en séance extraordinaire le vendredi 16 février 2007, d’accepter de lui accorder une prolongation de son mandat. Ce qui a été approuvé par l’assemblée, la date du 1er mars a été retenue pour la remise du rapport par la CSSE. (voir compte rendu de séance 16 février annexe)
La CSSE a organisé trente deux (32) auditions et tenu de nombreuses séances de travail. Elle a auditionné trente deux (32) personnes. Toutes ces personnes qu’elle a convoqués ont répondu à son invitation et accepté de répondre à toutes ses questions même les plus embarrassantes. Tous les sénateurs ont tous signé un condensé de leurs réponses aux questions que la CSSE leur a posées au cours de l’audition. Les originaux de ces documents sont disponibles au Bureau du sénat et seront par la suite déposés aux archives. Les transcriptions verbatim de toutes les auditions ont été réalisées et sont annexées à ce rapport (voir annexe 06 à 37). Les enregistrements de ces auditions sont également disponibles au Bureau du Sénat et seront aussi ultérieurement confiés aux archives.
Les auditions ont eu lieu selon le calendrier suivant :-----------------
Honorable Sénateur Joseph Lambert Mardi 13 février 11h30 à 12 AM
Honorable Sénateur Evelyne Cheron Mardi 13 février de 12 hres à 12h 30 PM
Honorable Sénateur Nenel Cassy Mardi 13 février à 12 hres30 PM
Honorable Sénateur Youri Latortue Mardi 13 février à 1 hre PM
Honorable Sénateur F. Fouchard Bergrome Mardi 13 février à 6 hres PM
Honorable Sénateur Cemephise Gilles Mardi 13 février à 2 hres PM
Honorable Sénateur Rudy Heriveaux Mardi 13 février à 1 hre30 PM
Honorable Sénateur Jean Hector Anacacis Mardi 13 février 11 hres à 30 AM.
Honorable Sénateur Mathurin Féquière Mardi 13 février à 2 hres 30 PM
Honorable Sénateur Ultimo Compère Mardi 13 février à 3 hres 30PM
Honorable Sénateur Eddy Bastien Mardi 13 février à 4 hres30 PM
Honorable Sénateur Carlos Lebon Mardi 13 février à 5 hres30 PM
Honorable Sénateur Beauplan Evallière Mercredi 14 février à 9 hres AM
Honorable Sénateur Huguette Lamour Mercredi 14 février à 10 hres30 AM
Honorable Sénateur Yvon Buissereth Mercredi 14 février à 11 hres AM
Honorable Sénateur Michel Clérie Mercredi 14 février à 9 hres 30 AM
Honorable Sénateur Hyppolite Mélius Mardi 13 février à 5 hres AM
Honorable Sénateur Jn Joseph Pierre Louis Mercredi 14 février à 10 hres AM
Honorable Sénateur Andris Riché Mercredi 14 février à 5 hres PM
Honorable Sénateur Ricard Pierre Mercredi 14 février à 4 hres PM.
Honorable Sénateur Roumer Maxime Mercredi 14 février à 11 hres 30 AM
Honorable Sénateur Antoine René Samson Mercredi 14 février à 1 hre PM
Honorable Sénateur Kelly Bastien Mercredi 14 février à 4 hres PM
Honorable Sénateur Jean Gabriel Fortuné Vendredi 16 février 10 hres à 11 hres AM
Honorable Sénateur Edmonde Beauzile Vendredi 16 février à 2 hres PM
Honorable Sénateur Jacques Wilbert Mercredi 14 février à 12 hres AM*
* Ce Sénateur, étant en voyage à l’étranger n’a pas pu être auditionné
SYNTHÈSE DES FAITS TELS QUE PRÉSENTÉS PAR LES PERSONNALITÉS ENTENDUES.-------------------------------------------
La CSSE a mené une série d’auditions de diverses personnes qui, selon elle, pouvaient aider à la manifestation de la vérité. Elle présente ci-après une synthèse des faits tels que présentés par les personnalités entendues qui doit permettre de tirer des conclusions et de faire des recommandations sur les différentes questions posées par le Sénat.
A) Sur les présomptions de corruption pour le vote de la résolution Socabank/BRH
Les déclarations des personnalités entendues révèlent les éléments suivants :
1. Contacts entre parlementaires et actionnaires de la Socabank ----
L’affaire qui oppose des actionnaires de la Socabank à la BRH a suscité un intérêt particulier chez un certain nombre de sénateurs qui l’ont affirmé de différentes manières. Les sénateurs Youri Latortue, Rudy Hériveaux, Joseph Lambert ont déclaré s’être saisis d’eux-mêmes de cette question. Le sénateur Kelly Bastien a affirmé avoir été sabordés sur ce sujet par ses collègues Youri Latortue et Rudy Hériveaux et avoir aussi participé à des rencontres sur la question avec trois (3) avocats de Monsieur Franck Ciné. Les sénateurs Jean Hector Anacassis et Féquière Mathurin ont dit avoir été sensibilisés sur la question par leur collègue Ultimo Compère. Le sénateur Anacassis s’est posé des questions sur la précipitation qu’il a décelé dans la démarche de ses collègues en faveur de la résolution. Il en a fait part à son collègue Ultimo Compère, mais n’a obtenu aucune réponse. Ce dernier a déclaré avoir des liens personnels avec Franck Ciné car il a épousé sa cousine. Il s’est donc personnellement intéressé au dossier et a reconnu avoir démarché certains de ses collègues sur l’affaire. Les sénateurs Edmonde Supplice Beauzile, Maxime Roumer, Andris Riché, Evelyne Chéron, Nènel Cassy, Céméphise Gilles, Antoine René Samson, Huguette Lamour, Jean Joseph Pierre Louis, Ricard Pierre, Yvon Buissereth, Mélius Hyppolite, Michel Clérié et François Fouchard Bergromme ont affirmé n’avoir jamais rencontré des actionnaires de la Socabank ni Monsieur Franck Ciné. Les sénateurs Ultimo Compère et Mélius Hyppolite ont souligné que leur soutien à la cause des actionnaires de la Socabank est motivé par la mauvaise expérience qu’ils ont eue avec le traitement du dossier de la Banque Haïtienne (BHD).
La CSSE a cependant relevé des approximations dans les réponses de certains comme le sénateur Hériveaux qui dans un premier temps n’a pas voulu admettre et a même nié qu’il ait été briefé sur la question par des actionnaires de la Socabank pour reconnaître ensuite qu’il connaît Franck Ciné, qu’il a justement discuté avec lui de l’opportunité de corriger cette injustice dont celui-ci et d’autres actionnaires de la Socabank ont été victimes et que son devoir était justement de les aider. Il a aussi déclaré qu’il allait continuer à défendre jusqu’au bout la résolution qu’il a votée pour des gens qui ont été victimes d’une vaste escroquerie.
Monsieur Franck Ciné de son côté a confirmé avoir des contacts avec des parlementaires et qu’il en connaît certains de longue date comme les sénateurs Joseph Lambert, Youri Latortue et Ultimo Compère pour ne citer que ceux-là. Monsieur Ciné n’a pas formellement admis avoir fait directement du lobbying ni directement ni par personne interposée auprès des sénateurs pour les influencer ou pour les porter à présenter et faire voter la résolution. Cependant il reconnaît avoir participé à des rencontres au sénat et ailleurs avec des parlementaires sans préciser toutefois si c’était dans le but de leur demander leur soutien dans le différend Socabank/BRH.
La CSSE a invité les membres des conseils d’administration de la BRH et de la Socabank. Les deux conseils ont répondu par lettre, toutefois la BRH s’était fait représentée par deux de ses membres. ( Annexe 38)
2- Offre et acceptation d’argent---------------------------------
A la question délicate d’une éventuelle rémunération pour le vote de la résolution, la CSSE a reçu des réponses négatives, catégoriques et péremptoires de la part des personnes interrogées.
L’ensemble des sénateurs de même que Monsieur Franck Ciné ont formellement nié que de l’argent ait été versé ou reçu à l’occasion de l’adoption de la résolution ou pour son vote. Plusieurs sénateurs ont eu des mots très durs pour qualifier les déclarations accusatrices de leur collègue Fortuné.
Le Sénateur Fortuné a confirmé sous serment et avec persistance que son collègue Rudy Hériveaux a bien reçu de l’argent de Monsieur Franck Ciné actionnaire de la Socabank pour faire voter la résolution. Malheureusement il n’a pas pu indiquer le montant de la somme et n’a pas non plus apporté de preuves irréfutables des ses déclarations. Il a cependant indiqué à la CSSE qu’une analyse des mouvements de fonds sur les comptes bancaires de certaines personnes pouvait se révéler très instructive.
Par ailleurs le sénateur Féquière Mathurin sans apporter une confirmation de versement d’argent a rapporté les propos du sénateur Ultimo Compère qui pour le convaincre de voter la résolution a tenu à préciser que « mwen menm m pa nandosye lajan an non, nap vote an zanmi…. ». Cela donne à penser que quelque part il y avait une question d’argent autour de cette résolution, sans qu’on puisse dire exactement de quel argent il s’agissait.
Monsieur Franck Ciné pour sa part a admis qu’il a dans le passé accordé un appui financier à des partis politiques et non à des candidats. Il n’a pas souhaité mentionner lesquels et a promis de le faire ultérieurement par écrit. Par lettre en date du 16 février 2007 Monsieur Franck Ciné en tant que Président de la Haitel a signalé avoir aidé les partis politiques suivants : Fusion, Pont, MODEREH, RDNP, ALYANS, OPL, MNP28, JPDM, l’UNION, PNDPH et Lespwa (annexe 38). Cette lettre ne comporte aucune mention sur les montants ni sur les dates de versement.
Par ailleurs, monsieur Franck Ciné a reconnu que la Fondation Haitel qu’il préside a apporté des contributions financières à des petits projets présentés par des parlementaires au profit de leurs circonscriptions. Invité à donner les noms des parlementaires qui auraient bénéficié des interventions de la Fondation Haitel, les montants versés et les dates des versements, il a déclaré ne pas être en mesure de fournir des informations de mémoire et qu’il le ferait volontiers par écrit. Sa correspondance susmentionnée ne contenant aucune information de ce genre la CSSE lui a demandé à deux reprises par écrit de lui indiquer les noms des parlementaires ayant bénéficié de financement direct de la Fondation Haitel, les montant accordés, les types de projets financés et surtout les dates des versements. Au moment de boucler ce rapport les réponses obtenues n’ont pas apporté tous les éléments d’informations en ce qui trait aux noms des parlementaires
( Annexe 39)
B) Sur la vente présumée de visas--------------------------
De toutes les personnalités interrogées sur cette question aucune n’a reconnu avoir reçu de l’argent pour solliciter des visas de la part d’ambassades étrangères. Seuls les sénateurs Nènel Cassy et Lambert Joseph ont déclaré avoir sollicité et obtenu un visa de l’ambassade américaine pour des collaborateurs tels : Alcide Leclerc, Sem Guetter Dauphin et Miss Beauté Sud’Est. Ils ont voyagé et sont déjà revenus au pays (voir annexe 40). Une de ces personnes contactée, a juré et confirmé n’avoir rien payé au sénateur.
L’ambassade américaine dont les services consulaires se seraient plaints de la vente de visas accordé par courtoisie à des personnes recommandées par des sénateurs n’a pas fourni une quelconque information sur ce sujet. La lettre adressée à l’ambassadeur par la CSSE est restée sans réponse jusqu’au bouclage de ce rapport. Rien dans les déclarations des personnes entendues, pas même les contradictions relevées, ne permet de statuer valablement sur la véracité des propos prêtés au consul des États-Unis d’Amérique en Haïti.
C) Sur le trafic de drogue---------------------------------
Le sénateur Fortuné dans ses déclarations ne mentionne aucun nom en particulier. Il a fait seulement état de rumeur que tout le monde est censé savoir concernant des transports de drogue sur les quais de la ville des Cayes. Tous les sénateurs interrogés sur la question ont catégoriquement rejeté tout lien, tout contact et toute implication de près ou de loin avec les trafic de drogue.
Les responsables de la Police Nationale d’Haïti n’ont pas été en mesure de fournir des informations particulières sur les investigations en cours actuellement sur le trafic de drogue en Haïti. Le commandant en chef de la PNH n’a pas souhaité opiner sur les déclarations du sénateur Fortuné. Il a plutôt indiqué à la CSSE que des enquêtes dont il ne pouvait rien révéler pour le moment étaient en cours. Tout, dit-il, est encore au stade d’indice et il ne peut donc rien avancer sans preuve sans prendre le risque de court-circuiter le travail du Bureau de Lutte contre le Trafic de Stupéfiants (BLTS). Il a aussi indiqué que des informations non encore vérifiées font état d’individus impliqués dans le trafic de la drogue qui ont apparemment des liens avec des personnalités officielles sans toutefois signaler si l’on compte des sénateurs parmi elles.
Le sénateur Youri Latortue qui se considère comme une victime des accusations mensongères de liaison avec le trafic de drogue, a dénoncé l’utilisation de ce genre de dénonciation par des autorités politiques à des fins politiciennes en cherchant ainsi à détruire l’image de jeunes femmes et jeunes hommes qui montent sur la scène politique. Quand on voit son nom affublé de ce genre d’accusation sur les murs et qu’un sénateur reprend de telles allégations, il devient impératif que toute la lumière soit faite sur ce sujet et que les vrais coupables soient dénoncés et punis
LES CONCLUSIONS-------------------------------
De tout ce qui précède et après avoir pris en compte des articles de presse et des émissions de radio écoutées, La CSSE peut dire que toute cette affaire a causé un tort considérable au Sénat de la République, à son prestige et à sa crédibilité. L’impact sur l’ensemble des membres de ce corps est incommensurable et c’est au fil du temps que l’on pourra mesurer l’étendue de tout le mal que tout ceci aura fait au pays. C’est donc avec raison, clairvoyance et sens de leur responsabilité que les sénateurs ont unanimement souscrit à la création de cette commission spéciale d’enquête et lui ont confié la difficile tâche de faire la lumière sur cette affaire. C’est ce même état d’esprit positif qui a prévalu quand il a fallu proroger le mandat de la CSSE. Et c’est dans cette même attitude, on l’espère, bien que ce rapport sera accueilli.
A) Sur le déroulement de la procédure----------------------
La CSSE constate avec plaisir que toutes les personnes convoquées en particulier les sénateurs ont répondu à son invitation et ont coopéré en répondant du mieux qu’ils pouvaient à toutes les questions qui leur ont été posées, même les plus embarrassantes. La CSSE tient à féliciter les parlementaires pour leur coopération et pour le courage dont ils ont fait preuve en affrontant l’opinion dans des séances publiques sous les yeux et la vigilance des médias. Il s’agit là d’un exercice inhabituel parfois inconfortable, mais ô combien nécessaire pour garantir la transparence et la crédibilité du processus.
D’aucuns ont reproché à la CSSE d’avoir fait ce choix et contraint les honorables sénateurs à ce déballage public. Cette démarche est d’une part en tout point conforme aux règlements intérieurs du sénat. Personne n’a demandé le huis clos alors que cette possibilité existait. Procéder autrement aurait eu comme conséquence de donner la désagréable impression que les sénateurs voulaient rester entre eux pour pouvoir plus facilement « Kase fèy kouvri sa. »
La CSSE tient à réaffirmer dans ce rapport, que tous ses membres ont abordé leur mission sans idée préconçue, sans à priori et sans animosité envers quiconque. Le seul et unique but des membres de la dite commission, était de s’acquitter d’une mission qu’ils n’ont d’ailleurs pas choisie, du mieux qu’ils pouvaient.
B) Sur les présomptions de corruption-------------------------
Des auditions, il ressort que des parlementaires manifestant un intérêt pour le litige opposant des actionnaires de la Socabank à la BRH, ont rencontré un nombre de fois indéterminé l’un des principaux actionnaires de cette banque Monsieur Franck Ciné. Celui-ci les a briefé sur la question et ils ont convenu ensemble de corriger ce que des sénateurs qualifient d’injustice et même d’escroquerie de la part de la BRH.
Monsieur Franck Ciné de son côté a également nié avoir soudoyé des sénateurs pour les porter à faire adopter la résolution. Il a cependant confirmé qu’il entretient des relations avec des parlementaires dont plusieurs sénateurs et qu’en tant que citoyen il croit qu’il est de son devoir de les soutenir et que de fait il en a soutenu financièrement de même qu’il a aidé des partis politiques. A l’occasion des élections il a donné une contribution aux partis politiques suivants : Fusion, Pont, MODEREH, RDNP, ALYANS, OPL, MNP28, JPDM, l’UNION, PNDPH et Lespwa . Il a de même reconnu avoir financé des projets pour certains parlementaires pour leurs bonnes œuvres par le biais de la Fondation Haitel qui apporte un appui dans le social à divers niveaux.
Au moment de boucler la rédaction de ce rapport, la CSSE n’a reçu que des informations parcellaires de Franck Ciné. Compte tenu de son calendrier de travail, la CSSE a préféré solliciter ces précisions par écrit. Les réponses obtenues aux deux correspondances adressées à Monsieur Franck Ciné n’ont pas apporté les informations espérées (annexe 41). La CSSE déplore que Monsieur Ciné n’ait pas fourni les noms des parlementaires bénéficiaires de financements de petits projets dans leurs zones respectives, dont il a confirmé l’existence et qui auraient pu servir à lever tout doute et toute ambiguïté sur ses relations avec les parlementaires.
Toutefois le sénateur Fortuné persiste et signe. Il maintient fermement ses déclarations et accuse formellement le sénateur Rudy Hériveaux d’avoir reçu de l’argent de Monsieur Franck Ciné pour le vote de cette résolution. La CSSE déplore que le dénonciateur n’ait apporté aucune preuve pour corroborer ses déclarations accusatrices, fracassantes, tapageuses.
La CSSE retient qu’il a cependant indiqué la voie qui d’après lui pourrait permettre de découvrir la vérité. Il faudrait, toujours selon le sénateur Fortuné, procéder à une vérification des mouvements de fonds récents sur les comptes des personnes qu’il a mises en cause dans cette affaire pour obtenir toutes les preuves de ses dires.
En dépit des suggestions du sénateur Fortuné, force est de constater que la CSSE étant une émanation du pouvoir législatif, n’est pas une instance judiciaire, ne dispose pas des prérogatives légales d’un juge d’instruction et n’est pas de ce fait en mesure de pousser les investigations jusqu’à la demande et à l’obtention de la levée du secret bancaire pour accéder aux comptes en banque des personnes mises en cause et a fortiori pour vérifier la régularité des mouvements de fonds. La CSSE ne pouvait pas non plus obtenir la levée de la confidentialité des communications qui aurait permis de vérifier les appels placés par des sénateurs immédiatement après le vote.
C) Sur la vente présumée de visas----------------------------
Les démarches infructueuses de la CSSE auprès de l’ambassade américaine et de ses services consulaires empêchent de corroborer les déclarations prêtées au consul général américain.
D) Sur le trafic de drogue------------------------------------
Toutes les personnes interrogées ont déclaré n’avoir de relation ni de près ni de loin avec des trafiquants de drogue. La Police Nationale d’Haïti n’a pas été en mesure d’éclairer davantage la lanterne de la Commission sur les implications éventuels de sénateurs dans le trafic de drogue.
E) Sur les vingt trois million de gourdes (HTG23.000.000,00)--------
La CSSE n’a pas mené d’enquête particulière sur ce dossier dont le Bureau est bien imbu. Il s’agit d’une demande présentée verbalement par le sénateur Beauplan au nom des sénateurs de la 47ème Législature qui réclament le paiement de la totalité de leurs salaires non perçus depuis qu’ils ont laissé de fait leur fonction jusqu’à la fin théorique de leur mandat. Cette demande étant restée informelle, le Bureau n’y a jamais donné suite et n’a jamais adressé de requête à ce sujet au Ministère de l’Économie et des Finances.
F) En résumé------------------------------------------
L’article 189 des règlements intérieurs stipule que : « Dans ses conclusions, le Rapport de la Commission doit indiquer si les faits et/ou les actes qui ont fait l’objet de l’enquête sont de nature à donner lieu ou non à des mesures disciplinaires et/ou des poursuites judiciaires. »
1. Les auditions conduites au cours de cette enquête n’ont pas permis de clarifier la situation ni de fixer de façon indiscutable les responsabilités des uns et des autres dans les dossiers qui ont fait l’objet de cette enquête.
2. La CSSE, de par ces audiences, n’a trouvé aucune preuve de la réception d’une somme d’argent par les parlementaires qui ont proposé et voté la résolution Socabank/BRH.
La CSSE ne dispose pas des moyens légaux indispensables pour pousser plus loin ses investigations dans le sens indiqué par le sénateur Fortuné. Dans l’attente d’autres investigations, la CSSE n’est pas en mesure de dire à ce stade si les déclarations de celui-ci doivent être considérées comme farfelues et relèvent de la pure diffamation ou si elles sont fondées. Dans le premier cas, la CSSE aurait recommandé des sanctions disciplinaires qui ouvriraient la voie à des poursuites judiciaires pour diffamation. Dans le second cas, il s’agirait de fautes graves justifiant à la fois des mesures disciplinaires exemplaires et des poursuites judiciaires contre ceux qui s’en seraient rendus coupables.
La CSSE fait au Sénat au paragraphe 6 A des recommandations sur la marche à suivre pour aller plus loin, mettre rapidement un terme à cette affaire et clore définitivement ce dossier.
3. Les auditions et les investigations menées n’ont pas permis d’établir formellement que des parlementaires ont touché de l’argent pour aider certaines personnes à obtenir un visa de l’ambassade américaine. Il n’y a pas eu fautes, il ne peut donc être question de sanctions. La CSSE fait ci-dessous au paragraphe 6 F des recommandations pour prévenir de tels agissements.
4. Pour ce qui est de l’implication de sénateurs dans le trafic de drogue, à la connaissance de la CSSE, il ne s’agit que de rumeur sans fondement. D’ailleurs le sénateur Fortuné n’a mentionné aucun nom en particulier et n’a pas dit non plus qu’il s’agissait de sénateur. La CSSE considère donc que le sénat n’est pas concerné par ces propos et n’a donc pas à statuer là-dessus et fait des recommandations au paragraphe 6 E.
5. La question des vingt trois million de gourdes (HTG 23.000.000,00) étant un dossier dont le Bureau a connaissance, ce qui a pu être dit à ce sujet doit être considéré comme un simple point de vue.
6. LES RECOMMENDATIONS----------------------------
A) Les diverses auditions conduites sans complaisance et en toute transparence par la CSSE n’ont pas permis de faire toute la lumière sur les différentes questions qui lui étaient posées. Les déclarations des uns et des autres laissent subsister des interrogations, sur ce qui s’est réellement passé à l’occasion du vote de la résolution par la quelle le scandale est arrivé. La CSSE croit qu’il est possible de creuser davantage et de pousser plus loin les investigations pour trouver la vérité. Elle croit que pour laver définitivement l’honneur des parlementaires contre lesquels des accusations ont été portées, il est indispensable d’aller plus loin.
Force est de constater que les personnes incriminées ont rejeté catégoriquement toutes les accusations, tandis que l’accusateur n’a pas apporté des preuves irréfutables pour corroborer ses déclarations tapageuses, de s’arrêter là, de se laver les mains et de renvoyer tout le monde dos à dos.
La CSSE, dans son souci de tenir les délais impartis, n’a pas jugé bon de convoquer une seconde fois certaines personnes pour confrontation ou l’obtention d’autres informations essentielles . Elle recommande donc au Sénat de saisir les instances compétentes de l’état tels que l’Unité UCREF et l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) qui disposent des pouvoirs légaux pour pousser plus loin les investigations.
B) Dans l’affaire soumise à la CSSE, certains ont avancé l’idée qu’il s’agissait d’une démarche classique de lobbying comme cela se pratique dans toutes les grandes démocraties et auprès de toutes les grandes organisations internationales. Cette analyse qui a été reprise par plus d’un est susceptible de créer une certaine confusion dans l’opinion et démontre que le sénat doit se pencher rapidement sur cette question.
C’est le sens des articles 42.1 et 42.2 des règlements intérieurs stipulés comme suit : « Pour le prestige et la dignité du grand corps, un Sénateur doit éviter dans une position de conflit d’intérêt susceptible d’influencer l’exercice de ses fonctions de parlementaire » « Il est tout à fait inadmissible qu’un Sénateur sollicite, accepte une rémunération, un profit, un avantage quelconque en échange d’une prise de position sur un projet de loi ou proposition de loi, une résolution ou toute question soumise à l’Assemblée ou à une commission ».
La CSSE recommande donc au sénat de se saisir rapidement de ce sujet et de constituer un groupe de travail qui aura pour mission d’accompagner la commission d’éthique et de lutte contre la corruption du sénat dans l’élaboration d’un code de conduite devant guider le comportement de ses membres en matière de lobbying.
La CSSE recommande au sénat de solliciter une assistance technique internationale pour étudier la pratique du lobbying et les règlementations entourant cette activité dans divers pays dont qui certains ressemblent au nôtre. Cette étude est un préalable à l’élaboration d’une proposition de loi spécifique sur le lobbying et des décrets ou arrêtés d’application qui doivent l’accompagner.
La CSSE recommande au sénat d’associer à cette démarche des parlementaires de la Chambre des Députés.
C) La CSSE recommande au Sénat de clarifier pour tous, parlementaires, exécutif, opinion publique, une fois pour toute le sens et les limites de la séparation des pouvoirs. La CSSE croit que toute cette malheureuse affaire est née d’une incompréhension ou d’une interprétation abusive du sens et de la portée d’une résolution.
La CSSE croit en ce sens, qu’il y là une opportunité pour commencer une collaboration entre le Sénat de la République et l’Université d’État d’Haïti.
D) Les interrogations provoquées par cette résolution incitent à réfléchir sur les méthodes de travail du Sénat et sur la nécessité d’introduire des règles plus claires dans les règlements intérieurs pour empêcher le genre de précipitation constatée au cours de la séance du 25 janvier dernier.
La CSSE recommande donc au Sénat de prendre toutes les dispositions pour intégrer dans les règlements intérieurs l’interdiction de l’introduction en séance de proposition de résolution et de tout vote précipité surtout sur des questions de cette importance.
E) La CSSE recommande à l’ensemble des sénateurs de faire preuve de prudence et de discernement quand ils décident de prêter leurs véhicules à des personnes dont ils ne peuvent pas se porter garants. La CSSE leur recommande aussi de prendre toutes les dispositions pour s’assurer que la plaque d’immatriculation officielle qui leur est attribuée ne soit pas utilisée à leur insu pour des individus pour commettre des actes répréhensibles.
La CSSE recommande au Sénat de continuer à suivre de près les enquêtes en cours au sein de la PNH.
F) La CSSE recommande au Sénat d’étudier un mécanisme qui éviterait aux sénateurs d’aller solliciter eux-mêmes des visas pour leurs proches ou pour leurs collaborateurs. La CSSE croit que toutes les demandes de visas à une ambassade étrangère devraient être présentées via le Bureau du Sénat.
G) L’expérience de la CSSE montre qu’il est nécessaire pour le Sénat de prévoir des conditions de travail appropriées pour ce genre de commissions. Elle recommande au Sénat d’aménager des salles appropriées pour ce genre d’audition publique, de prévoir un budget pour l’acquisition d’équipements nécessaires à la réalisation d’un travail efficace.
Friday, March 2, 2007
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