Patrick Lagacé http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/patrick-lagace/201001/30/01-944655-haiti-malade-de-ses-charades.php La PresseC'est toujours ça de pris: Tapis-Rouge a la plus belle vue de tous les nouveaux bidonvilles de Port-au-Prince. Une vue à couper le souffle sur la baie de Port-au-Prince, qui forme devant vos yeux un arc turquoise. Dans la baie, au loin, 12 bateaux, au moins. Au-dessus de la baie, un hélicoptère. Un tableau saisissant. La baie, les bateaux, l'hélico. Le spectacle de l'aide internationale, le monde à la rescousse d'Haïti. Dans la pente que je descends en tentant de ne pas me casser la gueule, odeurs de poulet grillé, de merde, de déchets qu'on brûle. Quelques poules, un million d'enfants au moins, dont quelques-uns font flotter au vent des cerfs-volants faits de vieux sacs-poubelles. Un bidonville tout neuf Dans le ciel, à 100 mètres, au-dessus des cerfs-volants, étincelant au bout de branches attachées ensemble, le drapeau bleu et rouge d'Haïti. Il flottait au-dessus de la case de Dielva Duval, secrétaire général du CAPSE, qui tient lieu de comité de citoyens. M. Duval, avec Jean-Jacques Faubert, président du CAPSE, dirige le comité, qui «aide les gens dans tous leurs besoins». Et le drapeau? «Ça indique où est notre organisation, dit M. Duval, policier de son état. Les gens voient le drapeau, ils savent qu'ils vont trouver des informations ici.» M. Faubert: «Haïti, notre cher pays, a été frappé. Ce drapeau montre notre identité. Il doit toujours flotter.» Il faut savoir un truc, sur ce pays. Ses habitants l'aiment à la folie. Haïti est l'État qui mérite le moins l'amour de ses habitants. Deux cents ans plus tard, les Haïtiens sont encore galvanisés par leur histoire, par leur statut de «première république noire», obsédés par leur indépendance, arrachée aux Français en 1804. En ce bidonville, ici, à Tapis-Rouge, l'État, c'est MM. Faubert et Duval. Évidemment, en Haïti, l'État n'est rien. J'en ai assez des charades d'Haïti. Tout le monde bullshite, dans ce pays. L'État, les politiciens, les Haïtiens, les journalistes - ceux d'ici et d'ailleurs -, la proverbiale communauté internationale, les travailleurs humanitaires. Ça commence avec votre chauffeur, qui, même s'il ne sait pas comment aller aux Cayes, va mentir et vous dire qu'il sait comment aller aux Cayes. Il va même vous dire que ça prend deux heures. En route, il demandera son chemin à tout le monde et arrivera quatre heures plus tard. Ça se poursuit avec cet État qui pue la grandiloquence, morpionné par des officiels qui bandent sur les titres, les uniformes et les grands discours. Tandis que nous roulions vers Tapis-Rouge, René Préval, président de la République - Haïti s'est débarrassé de la France mais a adopté sa pompe -, était en entrevue à Radio-Caraïbes. Vingt-cinq minutes de n'importe quoi. Vingt-cinq minutes de vent, de slogans, de voeux pieux. De bullshit. Et, malheureusement, 25 minutes de servilité d'un intervieweur qui n'a jamais bousculé le leader d'Haïti, surtout pas quand M. Préval a expliqué son consternant silence de plusieurs jours après le 12 janvier. Une des premières questions de l'animateur: comment la tragédie l'a-t-elle interpellé dans sa foi? Fuck. J'en ai assez des charades. Tout le monde fait semblant. Même moi, je fais semblant. Je fais semblant que le foutoir haïtien n'est qu'extérieur au peuple. En montrant les faiblesses de l'État, je disculpe le peuple haïtien. Or, désolé, mais les Haïtiens, collectivement, sont d'une passivité épouvantable, déprimante et délétère. Pour faire cute, comme tout le monde, je décris cette passivité comme du fatalisme. La communauté internationale fait semblant que l'État haïtien existe. Un État n'existe pas quand c'est l'ONU qui en assure la sécurité par les armes. Quand c'est une puissance étrangère qui fait atterrir les avions après un tremblement de terre qui n'a PAS détruit la tour de contrôle de son aéroport. Quand ce sont les amis de Jésus qui soignent et instruisent ses citoyens. Et il y a les ONG. Pleines de bonne volonté, bien sûr. Peuplées de saints, je le dis avec une admiration sincère. De Médecins sans frontières à la Croix-Rouge: ce sont des saints qui viennent ici. Mais tout cet appui des ONG et des pays étrangers, à la fin, aide les Haïtiens... à mort. Devant les chocs entraînés par le désastre humanitaire, j'ai entendu 10 fois plus d'Haïtiens critiquer non pas leur État minable, mais l'ONU, les États-Unis, la France... Aider à mort. Un exemple. Et je sais que je vais me faire lancer des tomates parce que c'est un cas isolé. Mais je m'en fous. Il est représentatif et emblématique. J'arrête à l'épicerie, cette semaine. Oui, les épiceries ont rouvert leurs portes, fini les barres tendres. J'ouvre la porte du véhicule, mon chauffeur me met la main sur le bras: «Tu me rapportes une bouteille d'eau?» O.K., O.K., oui. Je mets le pied par terre, il me dit (ce n'était pas une demande) un autre truc: «Et une bière.» Le problème, c'est que - concurrence médiatique oblige -, nos chauffeurs sont très, très, très bien payés. Pas selon les standards haïtiens. Selon NOS standards: 200$US par jour. Une bière, hein? Veux-tu que je conduise pendant que tu la bois, aussi? J'ai l'air brutal. Mais c'est une partie de la charade: de peur d'être taxé d'insensibilité ou de racisme, personne n'est jamais brutal avec Haïti. Les Haïtiens, de toute façon, ne le prendraient pas. Brutaux entre eux, ça va, de dictateurs en putschistes, ils tolèrent. Et quand un président élu leur coupe les couilles, ce sont les marines américains qui le sacrent dehors. Pas les Haïtiens. Mais si la critique vient d'un étranger, alors là, c'est le tollé, c'est le fleuve de courriels, c'est le verbiage sans fin à la radio, c'est l'accusation de visées colonialistes. J'en ai assez des charades. J'ai eu le coeur suffisamment brisé par suffisamment d'enfants affamés, cette semaine. Je crois avoir décrit l'urgence avec suffisamment de compassion pour avoir le droit, ici, juste une fois, de dire que les Haïtiens participent activement à leur malheur. Par passivité, justement. Et nous? Continuer à aider Haïti exactement comme avant le 12 janvier, c'est créer une autre génération de misère, d'orphelins et de bullshit. Assez, s'il vous plaît. Assez. REPONSE DE JEAN MONARD METELLUS JOURNALISTE DE RADIO CARAIBES, HAITI A PATRICK LAGACE DE LA PRESSE DE MONTREAL
ETONNANTS, SURPRENANTS, LES COMMENTAIERS DE L’AUTEUR SUR JEAN VENEL CASSEUS
Habitué avec les flèches empoisonnées de Patrick Lagacé dans le quotidien "la Presse de Montréal" et son style agaçant et moqueur, je n’ai donc guerre été surpris par sa sortie du 30 Janvier dernier (Haïti, malade de ses charades) où encore une fois, l’auteur s’est illustré par des commentaires acides et franchement révoltants sur notre chère Haïti (Que ça lui plaise ou non, je continuerai à chérir mon pays, la première nation nègre indépendante du monde). Je ne lui ferai pas le plaisir de répondre à tous les sarcasmes d’un journaliste en mal de sensation dans un pays qui réclame pourtant de la sympathie, de l’amitié, de la solidarité de la communauté internationale pour se remettre d’un drame dévastateur qui a ruiné ses maigres possibilités matérielles et faucher l’administration publique et privée des cadres les plus prometteurs qui pouvaient lui garantir un lendemain meilleur et assurer le décollage vers la modernité.
Cependant, son commentaire sur l’interview de notre confrère (et collaborateur aussi) Jean Venel Casséus réalisée jeudi dernier avec le président René Préval m’a paru tellement choquant, injuste et mal placé que je ne pourrais conserver pour moi-même la réaction indignée que je garde en moi depuis la lecture de ses diatribes. La première question que je me suis posée est celle-ci : Patrick Lagacé, avait-il réellement pris le soin de bien suivre l’interview (réalisée d’ailleurs dans une langue qu’il ne maîtrise sans doute pas) ; il a d’abord dit que l’entretien avait duré 25 minutes alors que le chef de l’Etat était à cœur ouvert avec Caraïbes (réseau radio et télévision) pendant une heure d’horloge environ. « Vingt-cinq minutes de vent, de slogans, de vœux pieux. De bullshit », a-t-il écrit en référence aux déclarations du président Préval. Là encore, cela m’a paru tout à fait inexacte puisque René Préval avait très peu l’occasion, au cours de cet entretien, de se « vendre » réellement car, même si l’entame de l’interview était quelque peu amicale avec des questions tournées effectivement sur l’interpellation de sa foi chrétienne eu égard à la tragédie ou les circonstances dans lesquelles, lui-même René Préval, humain et citoyen, avait vécu le tremblement de terre, le chef de l’exécutif était très vite ramené à la réalité du tac au tac d’une interview où aucun cadeau ne lui était fait.
Jugez-en par vous-mêmes : « Président Préval n’avez-vous aucune inquiétude quant à votre implication éventuelle dans le scandale des 197 millions de dollars du programme plan d’Urgence ? Amaral Duclonas ? Un dossier chaud qui a mis votre administration à rude épreuve car, on vous a soupçonné de complicité pour garantir une certaine impunité à ce chef de gang notoirement connu, qu’avez-vous à vous reprocher dans cette affaire ? ». Comment, après avoir écouté ces questions plus que pertinentes de Jean Venel Casséus et les réponses parfois embarrassées, parfois révélatrices de René Préval, Patrick Lagacé peut-il avancer que l’interviewer n’était pas mordant, perspicace et taquin ? Pour ceux qui connaissent bien notre métier et notre milieu (Haïti), ils savent bien que pour tirer les vers du nez de nos responsables, on doit faire preuve d’intelligence et de patience. Moi-même, je fus taxé de complaisant lors de mon interview avec l’ancien général Raoul Cédras mais, les critiques sont loin d’imaginer comment il m’a été difficile d’obtenir que l’ancien commandant en chef de l’Armée d’Haïti sorte de son silence pour me parler et se livrer à la nation et à la postérité.
Bien sûr, des gens sont restés sur leur soif ; bien sûr certaines vérités historiques sont toujours restées cachées mais, l’entreprise humaine n’est jamais finie et ça laisse plus de piment pour l’interview Acte II. Sans fausse modestie et sans flatterie, j’avais réagi à chaud au micro de Caraïbe pour dire que pour la première fois, René Préval s’était vraiment livré à la presse. Tout était au menu : son hypocrisie dans la prison de Ertha Pasacal Trouillot et celle de Yvon Neptune ; sa hantise de la prison ou de l’exil ; sa faiblesse humaine et son impuissance devant l’ampleur d’une catastrophe qui l’a dépassé ; son dégoût des ONGs internationales qui timidement mais sûrement se substituent à l’Etat failli et inexistant qu’il symbolise. Si ma perception du journalisme est différente de celle de M. Lagacé, alors sans doute il a raison de croire que Casséus n’avait pas bousculé le leader d’Haïti mais moi, je continue de croire que notre collaborateur était inspiré car, il a fait parler un président que l’on croyait bêbê (muet), tout au moins pour la presse haïtienne. Chapeau M. Casséus ! Le chien aboie, la caravane passe !
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