Saturday, December 10, 2011

Non á l’école de la«démocratie á la presse haïtienne ou la responsabilité manquée de proteger de la MINUSTHA » par Agronome Michel William


La presse haïtienne  vient de créer  au cours de l‘exercice fiscale 2010-2011 une nouvelle école de la démocratie. Son non est « la Démocratie á la presse haïtienne  »Les disciplines enseignées sont :L’accommodation de l’amendement constitutionnel blasphémé  considéré comme un cas anodin de violation constitutionnelle,  le respect de la primauté du droit parlementaire au détriment des deux autres pouvoirs, le respect des libertés individuelles au mépris des libertés collectives, le droit au travail dans l’insécurité de l’investissement public et privé , le droit á  la sécurité alimentaire en restant á l’intérieur d’un système  qui valorise les conditions de l’insécurité agricole, la critique hier  et la défense aujourd’hui du secteur bourgeois des affaires dans le dernier forum de l’investissement , l’utilisation de tout bois pour en faire des flèches ,si cela peut servir pour faire échouer le mandat  du président. La presse haïtienne  utiliserait les faux semblants.
Des haïtiens avertis  en lisant mon introduction me traiteraient  d’illuminé  car jamais,  au grand jamais on ne trouvera des personnes en Haïti pour associer les journalistes haïtiens  á  ces extrêmes. Soit !Ils ne se trompent pas  et moi non plus. En envoyant un tel message je voudrais simplement exprimer le constat que dans leur traitement quotidien du fait politique et économique  les journalistes haïtiens veulent á  la fois avoir le beurre et l’argent du beurre, une chose et son contraire et ne croient pas dans l’équilibre momentané  des trois pouvoirs. Et je m’explique.

Il se trouve que frappé depuis 1804 de sanctions politiques et économiques le peuple haïtien  a développé un mode de survivance á  toute une gamme de sanctions dont la plus récente a été l’embargo économique  décrété par l’OEA et l’ONU contre Haïti  sur demande du président Aristide en 1991. De plus,   Haïti placée sur les routes des cyclones tropicaux,  fait face chaque année á un ensemble d’aléas climatiques dont les dommages jamais réparés s’ajoutent aux précédents pour en faire un cocktail explosif  de révolte á  tout moment. Ce cocktail explosif n’offre aucune condition de sécurité  pour le capital financier qu’il soit étranger, national ou haïtien de la diaspora. Dans cet esprit, le dernier forum de l’investissement réalisé au Caribe Convention Center ne fait ni chaud ni froid. Ces sanctions naturelles et artificielles ajoutées aux événements de la transition qui n’en finit pas de 1986 á  2010 ont fait des haïtiens  un peuple aguerri aux pires misères du monde avec des élites  vidées de tout sens  de protection du patrimoine national. Nous sommes devenus un peuple sans honneur , sans grandeur et sans objectif. .La presse semblerait  fonctionner á  l’image de ce peuple. Redresser cette situation implique un pouvoir fort qui a une  politique  économique  basée sur la protection  de l’Environnement et la sécurité de l’investissement sereinement  appuyée par le parlement et par la presse. Le redressement de cette situation  nécessite un virement á cent quatre vingt degrés de l’attitude de ces deux derniers pouvoirs et s’apparente ces derniers jours plus á un leurre qu’á un rêve.

Dans tous les pays du monde la presse est un pouvoir. C’est le pouvoir de la rue. C’est elle qui façonne l’opinion et oriente la population  pour porter  les trois pouvoirs de l’état á  respecter les prescrits de la loi-mère et les lois de la république librement votées et non pas celles votées sous pression et sans motivation claire. Elle est aussi l’allié le plus sûr de l’Etat dans les moments de grande décision.  Nous en voulons pour preuve le soutien inconditionnel des grands medias internationaux aux gouvernements coalisés á  travers les Nations Unies, pour envahir l’Irak, l’Afghanistan, Lybie, Cote d’Ivoire, plus le CPI pour les  vaincus. Le parlement et la presse Haïtienne devraient retenir qu’aussi longtemps les ressources naturelles et humaines d‘Haïti  sont exploitées aussi anarchiquement par le petit capital national haïtien et par la paysannerie sans respect aucun pour la survie des générations futures, les chances sont minces  de placer Haïti sur les rails du changement véritable. Tout ce qu’on peut espérer dans le contexte économique international est un développement façade  á  l’égal  de la Jamaïque, de la république Dominicaine, avec la promulgation de nouvelles lois.qui, tout en attirant l’investissement privé, étranger et haïtien,  créent les conditions  de son épanouissement,  la sécurité de leurs propriétaires et un mieux aller  pour le gros peuple. C’est á peu de chose près l’objectif que devraient se fixer les haïtiens  á travers la CIRH qui n’est autre qu’un regroupement de businessmen  étrangers qui cherchent des affaires en risquant leurs capitaux á  chaque opportunité offerte par le passage  d’un cataclysme naturel dans le monde. Il n’y a  pas de free lunch. Ces businessmen ne sont pas préparés a évoluer sous aucun dictat haïtien mais á imposer leurs conditions d’investissement. Quelles seraient d’après nous  ces conditions ? Elles ne seraient  rien d’autres que :

-La promulgation de lois   votées sur mesure, 

-La condition dictée de l’exploitation agricole des mornes et des plaines dans le cadre d‘une triple politique de reforestation, de production vivrière et de considération du nouveau concept de propriété conditionnelle du terrain

-Le renforcement  approprié de la PNH  qui garantit l’investissement privé  avec  la création d’une force de police de cinquante mille hommes  divisée en deux groupes, une branche armée  pour la protection de l’agriculture et de l’environnement et une branche  policière pour la sécurité des vies et des biens dans  les villes bourgs et faux bourgs du pays

- L’Organisation honnête de la collecte des taxes pour le maintien des conditions de sécurité et d’un minimum de services publics  á  la population.

-L’organisation des tribunaux et la construction de prison dans toutes les sections communales  qui font des prisonniers  une partie  forcée de la  main d’œuvre de travail avec toutes  les structures internes de formation professionnelle.

Cela veut dire que  si aujourd’hui  nous n’inventons pas la dictature la plus coriace des lois pour imposer une  nouvelle organisation du pays á  la lumière  de ce que nous permet  l’introduction des capitaux, nous sommes flambés. Si nous étions un peuple avancé conscient de notre situation, le monde international  qui nous considère  comme un état en faillite n’aurait qu’ á   nous imposer un ensemble de sanctions pour nous crever   l’économie et pour nous ramener  á  la réalité de la démocratie á l’occident. Elle n’y arrive pas parce que nous n’avons rien á y perdre. D’un point de vue environnemental, l’étranger ne peut pas nous abandonner á notre sort. Si oui  nous deviendrions un danger permanent pour sa propre survie. Il y a déjà  de nombreux exemples dans lesquels il a essayé de nous mettre en quarantaine comme dans » La tuberculose, le cholera,  le massacre du cochon créole, la fièvre cochon, la grippe aviaire, la cochenille rose de l’hibiscus, le scolyte, la mouche de la mangue et le boat people qui fragilise son économie  en crise et incapable  de se relever depuis la récession de 2008. Ça  n’a pas marché. D’un point de  vue de survie économique  strict  il est obligé  de réagir á   notre cas d’espèce  unique rien que pour se protéger contre les bactéries et les virus qui pourraient avoir trouvé dans cet état politiquement  failli le ferment idéal de mutation  inconnue qui menacerait sa propre existence de peuple du monde. Il doit se protéger.

La presse haïtienne  en voulant une chose et son contraire ,  semblerait conforter le parlement et la population dans l’anarchie. La dictature qu’on le veuille ou pas, est un passage obligé  vers toute démocratie. On ne devrait  espérer aucun développement avec la démocratie telle que conçue par les ONG, par les organismes de droits de l’homme, par l’étranger et par la presse qui semblerait perdre le nord du développement d’Haïti. Plus les haïtiens  ne se comprennent pas et sont divisés sur les moyens minima de survivance, plus l’étranger s’évertue á  rechercher de solutions transitoires  qui minent les possibilités de sortie de crise comme , en particulier:

-Le maintien du régime des ONG pour s’assurer que si vol il y en a, que l’argent  soit volé par lui-même et non pas par les haïtiens

-La provocation de la guerre civile . Il a tenté déjà plusieurs fois  cette  méthode qui n’a pas marché. Il a tenté et tente aujourd’hui encore la tutelle  Dominicaine á   laquelle  résistent les leaders trujillistes. La république voisine  estime que pour le faire elle devrait posséder  les  reins de l’état d’Israël dans son occupation permanente de la Palestine tolérée par les puissances occidentales.. La république Dominicaine   accepte la  tutelle économique mais résiste á l’envie de  la tutelle politique.

-La tutelle onusienne .L’étranger ayant  constaté  que nous avons mis en échec  les conditions d’entre déchirement, puis celles de la tutelle économique  du pays le plus proche, a essayé celle de la MINUSTHA. La MINUSTHA  a échoué ou est en train d’échouer après sept missions consécutives de 1991 á  2011. Nous sommes un cas d’espèce unique.

A la recherche de cette protection contre la peste haïtienne, l’étranger ne sait quelle nouvelle méthode  de gouvernance expérimenter dans son laboratoire haïtien de politique. La toute dernière en date est la formation  du gouvernement tétra hybride de Gary Conille pour surmonter l’imbroglio de l’amendement  constitutionnel et le disfonctionnement des trois pouvoirs né de la mascarade électorale de 2011.. Il  y croit trouver la dernière pullule politique d’ARV (anti retro virus) dans la formation du gouvernement tétra hybride de Martelly Conille composé de  fanmi Lavalas, d’INITE, des Quatre vingt sixards écartés et de néo duvaliéristes retrouvés . Comme il détient la force et que cette dernière  prime le droit, il nous a imposé ce gouvernement qui entre nous serait un gouvernement typiquement haïtien de la dernière chance confectionné par l’ONU avant une  tutelle sauvage type palestinien  pour un temps illimité.. Il n’aurait pas d’autre choix. Martelly en super intelligent  ne veut de tutelle. Il a joué le jeu  avec  bien entendu certaines faiblesses acceptées par ses proches et critiquées amèrement par ses ennemis dont le parlement et la presse qui voudraient faire échouer son mandat.

Quelle  est donc cette affaire de menacer á tout moment  d’interpellation les membres d’un gouvernement a peine établi s’ils ne répondent pas á une convocation pour s’expliquer sur des actualités dont les problème remontent au temps  de la complicité politique du parlement et de l’exécutif lavalassien ou prévalien ?C’est  une manœuvre permanente de déstabilisation de la vie politique pour éviter  la réinsertion progressive d’Haïti dans l’économiquement correct.  Il est demandé á  la  presse haïtienne   essoufflée  d’observer un moment de répit pour se donner le temps de réévaluer la situation politique et économique du pays  afin de  trouver la passerelle de transition  nécessaire á un nouveau départ dans le politiquement, l’économiquement et le démocratiquement  correct de l’Occident.

Attention les trois dernières expressions  sont bien pesées pour les journalistes sorciers qui perdent leurs temps á  ressasser  les vieux clichés classiques de la démocratie. Aujourd’hui la démocratie  pour les pays  á  économie dominante signifie  la création dans les pays sous développés d’un ensemble de conditions légales facilitant l’entrée du capital international dans ces petits pays  et la gestion directe  des entreprises qui créent les revenus et les emplois. Ceux-ci  ont á  leur portée tout l’appareillage idéologique et culturel pour imposer cette démocratie y compris les Nations Unies, l’OEA, les grands media menteurs et la CPI..C’est le fonctionnement en réseau de ces grands media internationaux qui disent ce qui est ou n’est pas la démocratie  . Que notre presse ait une idée claire  de ce que  la démocratie est pour l’occident en Lybie, en Tunisie, en Egypte, en Syrie en Afghanistan, en Palestine ,au Barein, en Cote d’Ivoire á Cuba, au Venezuela. Notre presse  n’a-t-elle pas été unanime á relayer á l’unisson les  nouvelles de Washington post, de Miami Herald, de NewYork time  sur  la mauvaise disposition des officiels américains á  accepter le retour de l’armée  avec le gouvernement de Gary Conille alors que la majorité de la population attend avec impatience le retour de cette armée ? Ce sont les grands medias qui donnent le ton. Les grands medias disent aujourd’hui qu’ils fonctionnent avec Martelly par personne interposée  avec  le premier Ministre Gary Conille.

J’éprouve un plaisir vraiment amer á  écouter les analyses des journalistes qui tentent désespérément d’expliquer á  la nation dans leurs émissions  la signification symbolique du mois de novembre  et les incidents criminels liés á certaines dates dont les 28 et les 29. en ce moment difficile de la vie nationale. Je lis d’une lecture triste les éditos des journaux  qui pèchent  certaines fois  par excès  en  soufflant tantôt sur le chaud tantôt sur le froid. Je ne doute pas d’une seconde de la capacité de ces journalistes á  évaluer le péril qu’il y  a dans la demeure haïtienne. Je ne questionne même pas leurs motivations  á  remuer les cendres chaudes et douloureuses du passé. Je plains seulement leur faiblesse humaine  á  voir la réalité en face  et á  ajuster leur analyse á l’aune de la sérénité que commandent la crise économique internationale et la situation politique d’Haïti..C’est pourquoi de temps á autre  il s’ébruite la montée de sons apparemment discordants entre confrères de la presse locale nés de petites touches tordues de la réalité politique et économique  du pays  au retour de certaines  excursions. Ne parlons pas des rendez vous manqués de Michel William avec certaines stations de radio qui ont leur lecture de la situation politique du pays en fonction de vieux clichés en attente de réévaluation. La presse haïtienne  par esprit solidaire d’une solidarité mal évaluée est incapable  d’accompagner la population ,le gouvernement et l’étranger  dans la pose des premières pierres d’un édifice qui doit être les plus solides  pour résister aux assauts du statu quo. Elle préfère s’approprier honteusement de la cause de politiciens perdus  pour régler paradoxalement ses différents personnels avec le président Martelly. La presse au même titre que le parlement  doit se rappeler que pour survivre ,tout ce qui est á  la limite de la perception acceptable  est négociable. On peut négocier au niveau de l’état la corruption politique de certains membres et jamais l’escroquerie ouverte. Cette dernière est impie.

Le président Martelly parait comprendre le tournant de la politique et de l’économie. Le parlement, non. La presse, non. Or les structures politiques et économiques qui prévalent aujourd’hui en Haïti ne se prêtent pas á  aucun type d’investissement. Il faut les reprendre totalement..D’où tout ce chassé croisé diplomatique de l’étranger en Haïti pour amener le parlement et la presse á  comprendre les enjeux du moment Aussi longtemps que ces deux structures ne comprennent pas la nécessité de faire taire leurs préjugés pour embrasser á coté de la présidence  de Martelly la cause urgente d’Haïti, les chances sont minces de déboucher sur une issue durable  á la crise. De nos jours ,les possibilités d’arriver á  un accord avec le parlement sont  visibles á  l’horizon politique du pays. Il reste la presse  qui n’a montré encore aucun signal  viable de son assouplissement.

C’est ici que doit intervenir la  notion de responsabilité de protéger de la force d’occupation de la MINUSTHA.  Cette dernière est en Haïti pour stabiliser la vie  politique. Elle y parvient maladroitement en stabilisant tant bien que mal la présidence  haïtienne. Elle a des problèmes á concilier les contraires nés de cette stabilisation forcée..La MINUSTHA devra orienter  ses efforts vers la presse haïtienne pour  l’aider á normaliser ses rapports avec le pouvoir haïtien. Elle doit aider la presse locale á  partager avec elle  les grands enjeux et les moyens La presse étant un pouvoir de poids dans les orientations  politiques et économiques du pays devrait retenir d’avantage l’attention des Nations Unies qui n’ont rien fait jusqu’ici pour la professionnaliser. On ne professionnalise pas la presse  avec les mots d’encouragement ou en invitant les directeurs de media á des réunions de salon..On professionnalise une institution dans son organisation, dans sa structuration, dans le développement de son  business et dans l’épanouissement des acteurs. Dans la hiérarchie des responsabilités de protection il y a lieu de retenir par ordre de priorité, le peuple haïtien, les institutions et l’individu. Dans l’affaire Martelly Bélisaire le parlement et la presse ont choisi de prioriser l’individu. Ils ont rejeté respectivement en troisième et en second plan les nobles aspirations du peuple haïtien et les institutions . Les Nations Unies ont choisi d’ignorer la contribution de la presse á la solution de la crise et ne l’ont pas accompagnée.

Les mêmes approches tentées auprès du parlement  par les Nations Unies pour l’amener á la table de négociation devraient être aussi essayées avec la presse  Notre presse doit se rappeler que le peuple haïtien n’a jamais autant besoin de son accompagnement en ces jours difficiles de la reprise. Si elle doit faire un sacrifice pour retrouver le chemin de la collaboration avec le pouvoir constitutionnel haïtien, elle ne devra reculer devant aucun effort  en son pouvoir pour le faire.
michelwilliam1000@hotmail.com

L’haïtianisation de l’écriture chez Jacques Stephen Alexis par Rafael Lucas, Universite Bordeaux-3


L’œuvre de Jacques Stephen Alexis s’inscrit dans un cadre historique littéraire et culturel, en Haïti, qui se situe entre le courant réaliste social de la période 1898-1912 et l’année 1961, année de la mort tragique du romancier. 1961 est considéré par Jean Jonassaint (Des Romans de tradition haïtienne) comme une « année charnière » car c’est « le début de la répression aveugle duvaliériste qui entraîne l’exode massif des Haïtiens »[1] et qui marque une évolution dans les formes et les thèmes romanesques. Entre les deux périodes susmentionnées, le traumatisme de  recolonisation de l’Occupation américaine (1915-1934) et l’anthropologie militante du Mouvement Indigéniste (années 1930-1950) nourri de l’apport culturel d’Ainsi parla l’Oncle (1928) de Jean Price-Mars, ont conduit à une réévaluation valorisante de la culture haïtienne. L’époque se caractérisait également par des pensées de la positivité : la défense des couches populaires (notamment dans le roman paysan), la diffusion d’idées marxistes (chez Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis, René Dépestre, entre autres) et le déploiement d’une esthétique de la célébration de l’espace haïtien, évidente dans le Réalisme merveilleux. Pour Maximilien Laroche on était passé d’un certain courant antiraciste[2] de la fin du XIX ème siècle haïtien à un inventaire et à une promotion de la culture nationale, autrement dit « de la défense à l’illustration ». [3]
                               
Le bruissement de la langue haïtienne
L’illustration en question se manifeste avec une prégnance particulière dans l’œuvre de Jacques Alexis. Les marques d’haïtianisation du texte alexien sont visibles dans tout l’espace littéraire de l’œuvre : le péritexte (titre, préfaces, prologues, notes), la langue, l’espace, le champ référentiel, les personnages. Les références fréquentes à la culture haïtienne confèrent à l’écriture d’Alexis un bruissement culturel permanent. Dans les expressions « une case de monde fou » (Compère Général Soleil) littéralement, « une maison de fou », on entend la résonance du créole « oun kay moun fou ». « Quelle justice peut exister pour des nègres des feuillages comme nous ? » demande le grand-prêtre Bois-d’Orme dans Les Arbres musiciens[4]. Derrière l’expression « nègres de feuillages », on entend le créole haïtien « nèg fey (cul terreux, pauvre bougre). Quand le Vieux Vent Caraïbe (Romancero aux étoiles) admet son côté fureteur (« Fouille-au-pot comme je suis… »[5]), on perçoit l’écho du mot haïtien fouyapòt. Dans Compère Général Soleil (1955), Compère évoque clairement le personnage de conte et la sociabilité populaire. L’allusion est moins patente dans le titre L’Espace d’un cillement (1959), traduction de l’expression haïtienne avan ou bat je w, expression reprise deux fois dans Les Arbres musiciens (1957)[6], puis mentionnée en espagnol dans Romancero aux étoiles (l’espace « de un abrir y cerrar de ojos »[7]), pour marquer cette fois un ancrage caribéen. Les prologues de Compère Général Soleil et de Romancero aux étoiles constituent une véritable synthèse d’éléments anthropologiques, linguistiques et esthétiques d’un univers populaire haïtien. Il faut y ajouter un souci pédagogique constant de traduction des termes de langue haïtienne, dans toute l’œuvre du romancier. Les traductions peuvent précéder les termes en langue haïtienne : « La vieille masure qui menaçait de s’accroupir, qui voulait « chita » dans le marécage. »[8] Le procédé peut s’inverser, comme dans le conte  « Romance du Petit Viseur » (Romancero) où le mot « halefort » (ralfò) précède sa traduction : havresac. Les mots traduits font aussi partie du dispositif de sémantisation du texte. Ainsi une « chouette-frisée » (frize en créole) ricane sinistrement à la première sortie nocturne d’Hilarion dans Compère Général Soleil. Cet oiseau de mauvais augure en Haïti réapparaît à la fin du roman et provoque le malheur final, juste avant qu’Hilarion traverse la frontière haïtienne. [9]
                                              
Le guidage du lecteur
L’auteur procède également par rentabilisation du contexte, en insérant les mots dans une phrase où le mot haïtien éclaire le mot français, ou vice-versa : une dégelée de gifles et de « calottes » (Les Arbres musiciens) ; Bouqui est un gros  balourd, « mazette », malchanceux, couillon (Romancero). Le mot haïtien « calottes », kalòt (taloches), mis en évidence par les guillemets, devient plus compréhensible à côté de gifles ; il en est de même pour mazette (mazèt), maladroit, placé à côté de balourd. D’une manière générale un important appareil de notes à fonction pédagogique accompagne le texte alexien, de manière à permettre au lecteur non créolophone d’appréhender le mot avec plus de vraisemblance dans son environnement culturel : clairin (rhum blanc), grillot (grillade de porc), tcha-tcha (maracas), pipirite (passereau chanteur très matinal), etc. Les notes servent également à éviter la confusion : habitant (paysan), grand don (grand propriétaire), jeunesses (prostituées). Le romancier inclut aussi dans le champ référentiel des noms de personnages très présents dans la tradition orale populaire : Charles Oscar (figure de militaire brutal), Antoine Langommier (célèbre voyant), Louis-Jean Beaugé (homme intrépide et bagarreur), équivalent du major guadeloupéen et martiniquais. Le texte est parsemé de proverbes qui renforcent la densité du récit tout en révélant des aspects d’une vision haïtienne du monde. Citons par exemple dans Compère, « Quand le malfini (rapace) ne trouve pas de poule, il prend de la paille » (lè malfini pa jwenn poul, li pran pay), « Haïssez le chien mais dites que ses dents sont blanches » (rayi chen, di dan l blan) ; dans Les Arbres musiciens, « Le fer coupe le fer » (fè koupe fè), « Seul le couteau connaît le cœur de l’igname » (se kouto sèl ki konn sa k nan kè yanm). Cependant cette abondance de référents haïtiens dans les romans de Jacques Alexis ne vise ni à une exhibition de couleur locale folklorisante ni à un enfermement culturel « natif natal ». Bien au contraire, la mise en lumière du monde haïtien s’accompagne d’une mise en contact avec d’autres univers culturels, en particulier un espace hispano-caribéen et un imaginaire européen médiéval et baroque. Cette ouverture euro-caribéenne se fonde sur une valeur organisatrice de l’éthique de Jacques  Alexis, celle de la fraternité très présente dans son œuvre de fiction et dans son célèbre discours de 1957, intitulé « La belle amour humaine ».[10]
                                                
Eloge et fraternité
La représentation de l’univers haïtien chez J. S. Alexis mélange pêle-mêle l’attachement ombilical à la terre de « Quisqueya la belle » et une admiration-compassion pour les couches populaires marginalisées par les élites mais porteuses d’une culture prodigieuse. Dans Compère Général Soleil, c’est avec des accents dignes de Virgile, d’Hugo, de Pablo Neruda et d’Alejo Carpentier qu’Alexis décrit le fleuve Artibonite : « les grands malfinis, ces condors à l’œil luciférien qui gîtent à côté de la foudre, dans les contreforts géants du Massif Central, seuls  s’abreuvent aux secrètes racines par lesquelles il puise sa puissance de cristal. »[11] Ce fleuve national est témoin de la genèse de la nation haïtienne dans l’enfer agricole de l’esclavage domingois mais il est aussi un père nourricier : « Il est père du café. C’est lui qui donne le riz. C’est lui qui rend gras le bétail. Il fait les fruits non pareils. Si la canne est juteuse, le clairin nouveau savoureux, notre rhum sans rival, c’est au fleuve qu’ils le doivent. »[12] D’ailleurs l’Artibonite est le cousin du Vieux Vent Caraïbe, figure mythique magistrale de l’oralité dans Romancero aux étoiles. L’oralité de l’oraliture alimente en permanence le débit de l’écriture alexienne. Le narrateur du Romancero  s’identifie aux grandes figures d’une tradition orale prestigieuse, celle des sambas (poètes amérindiens), simidors (interprète de contes chantés) des composes (conteurs) du griot africain et du « tireur de contes » populaire. On notera le choix du terme romancero qui se réfère à une tradition littéraire ibérique ainsi que les titres des histoires racontées dans Romancero aux étoiles : « Dit de Bouqui et Malice », « Dit d’Anne aux Longs Cils », Fable de Tatez’o-Flando », « Chronique d’un faux-Amour » « Romance du Petit Viseur, Chantefable ». Tous ces genres de la littérature médiévale européenne renvoient à des compositions mêlant la dimension narrative à prétention véridique et l’intention poétique, à mi-chemin entre la chronique et le récit d’émerveillement. Cette inspiration européenne populaire et aristocratique, n’est pas limitée à un cadre référentiel. Elle est visible dans le lexique (aiguail bréhaigne, céladon, donzelle, froidure, guigne, maritorne, ménétrier remembrance, toton,) et dans certaines constructions de phrase archaïsantes, comme dans la description de Malice dans Romancero : « Je n’ai oncques connu petit compain plus futé, plus malin, plus malandrin, ni plus scélérat !... »[13] Cet effet archaïsant a au moins quatre significations : montrer le dialogue de cultures dans la liberté créatrice de la littérature, tirer parti de certains mots  à cheval sur deux temporalités, autrement dit des mots désuets en français mais bien vivants en haïtien (capon, cambuse, galetas), combiner des imaginaire différents, conformément à l’esthétique baroque, et ennoblir l’univers populaire haïtien par l’emploi d’un lexique européen suranné. Pour illustrer ce dernier cas, citons deux exemples tirés respectivement de Compère Général Soleil   (« Il eut d’un coup la remembrance de la nuit tragique »)[14]  et des Arbres musiciens ([…] les jeunes donzelles rieuses qui rentrant du marché se bousculent à qui mieux mieux)[15]

L’haïtianisation de l’écriture chez Jacques Stephen Alexis révèle donc un propos de désaliénation. Il s’agit d’aller à la rencontre d’un univers culturel national et populaire longtemps sous-estimé et d’en montrer les richesses sur le plan ethnologique, mythologique, social et linguistique. L’investissement de cet univers s’effectue suivant une double intention, celle de l’appropriation créatrice mais aussi du partage humaniste, en ignorant « le colorisme pseudo révolutionnaire » et les « théories pararacistes » (Les Arbres musiciens p. 155). La démarche de l’écrivain est animée d’une énergie vitaliste, empreinte de positivité militante. C’était avant l’instauration de la dictature duvaliériste.
Rafael Lucas, Université de Bordeaux-3.


[1] Jean Jonassaint, Des Romans de tradition haïtienne. Sur un récit tragique, Paris, Montréal, CIDIHCA, 2001, Paris, l’Harmattan, 2002, p. 90
[2] M. Laroche se réfère à des œuvres précises : Louis –Joseph Janvier, Haïti et ses visiteurs (1883), Anténor Firmin, De  l’Egalité des races humaines (1885), Hannibal Price, De la Réhabilitation de la race noire  par la république d’Haïti (1893).
[3] Maximilien Laroche, La Littérature haïtienne : identité – langue – réalité, Ottawa, Leméac, 1981, p. 28.
[4] J. S. Alexis, Les Arbres musiciens, op. cit. p. 194
[5] Op. cit. p. 9
[6] J. S. Alexis, Les Arbres musiciens, Paris, Gallimard, 1957, pp. 183 et 225. Cette expression est aussi mentionnée par Jean Jonassaint dans Des Romans de tradition haïtienne, op. cit. p. 73.
[7] J. S. Alexis, Romancero aux étoiles, Paris, Gallimard, 1960, p. 114.
[8] Compère, op. cit. p. 9
[9] Les deux apparitions de l’oiseau de malheur figurent aux pages 7 et 342 de Compère, op. cit.
[10] Jacques S. Alexis, La belle amour humaine [1957], Revue Europe, Paris, n° 501, janvier 1971, p. 20-27.
[11] Compère, op. cit. p. 165
[12] Ibid. p. 167
[13] Romancero, op. cit., p. 17
[14] Compère op. cit. p. 43
[15] Les Arbres musiciens, op.  cit. p.