Tuesday, May 31, 2011

HAITI AMENDEMENT CONSTITUTION: REPONSE DE CHANTAL VOLCY CEANT AU BATONNIER GERVAIS CHARLES


Le Bâtonnier Gervais Charles, par sa lettre du 26 mai écoulé à la Direction du Nouvelliste, veut apporter un certain soulagement aux angoisses citoyennes comme celles qui compriment atrocement mon cœur depuis la fin de l’année 2009 quant aux éventuelles retombées de la révision constitutionnelle entamée par le Président René Préval.  Toute impressionnée de la conclusion péremptoire de notre éminent juriste, je me suis décidée, simple citoyenne, à concentrer mon entendement sur la position qu’il avance: «L’amendement étant acquis sous l’ancienne présidence, rien ne s’oppose à ce que le président Michel Martelly le fasse rectifier ou même publier». La Constitution de 1987, œuvre imparfaite peut-être, établit elle-même les modalités de son amendement éventuel. Dans la perspective d’en réaliser la modification, la déclaration du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince ouvrirait-t-elle une fenêtre permettant d’envisager une fin aux tracasseries qui bloquent le démarrage du nouveau pouvoir haïtien du 14 mai 2011?
    Chantal Volcy Ceant
Néanmoins, il arrive que les péripéties insupportables, tant en nombre qu’en magnitude, qui entravent l’évolution de notre Haïti, m’ont portée depuis quelque temps à vouloir accomplir mes devoirs de citoyen qui commencent, j’en suis convaincue, par l’appropriation d’une certaine compréhension fonctionnelle des prévisions constitutionnelles. Je me suis donc autorisée à essayer d’appréhender pour moi-même ce que dit la Constitution de 1987 quant à son amendement car, il me semble que l’un des problèmes majeurs qui paralysent notre démocratie en herbe, c’est justement l’absence de familiarité des citoyens avec la Charte Fondamentale.  Pourtant, elle exige seulement que l’on se rappelle que sa lettre est d’application stricte.  Aussi, tiendrai-je à m’éloigner des interprétations sophistiquées ou trop nuancées. 
J’ai donc noté que les amendements à la Constitution sont traités en son Titre XIII, soit les articles 282; 282-1; 283; 284; 284-1; 284-2; 284-3; 284-4.  

Il demeure étonnant que l’application de ces quelques huit articles, assez concis dans leur libellé,  puisse se transformer en un exercice national si difficile qu’il semble capable d’engouffrer notre République toute entière dans un effet d’entonnoir, comme en produisent souvent les vagues tumultueuses et fracassantes de nos cotes caribéennes.  Je me suis donc donnée la peine de les lire afin de trouver des recommandations à  mon ami, Michel, certes, mais surtout et d’abord, au Président de la République, nouvellement élu à la Première Magistrature de l’Etat en ces temps si fragiles du mois de mai 2011: Tournant historique pour le peuple haïtien, ère sombre des décisions d’Etat frauduleuses. Hélas! Mois de prévisions à la période cyclonique; période de fin` d’année scolaire, c’est-à-dire  du déroulement des examens officiels, porteur d’espoir ou de désespérance pour une nouvelle génération de jeunes face à la redoutable institution du «CHOMECO»;  dix-septième mois de purgatoire indéfini dans le monde effroyable des abris de prolifération de toutes les misères. Alors, j’ai procédé à la lecture du premier article en question:

Article 282: «Le Pouvoir législatif sur la proposition de l’une des deux chambres ou du pouvoir exécutif a le droit de déclarer qu’il y a lieu d’amender la constitution, avec motifs à l’appui.»

Cet article fournit trois éléments quant à l’initiative de la procédure d’amendement.  Il précise qui est autorisé à proposer d’amender la constitution, qui fait la déclaration d’amendement, puis il y établit un pré-requis. Donc, la première étape consiste à considérer l’éventualité même  d’un amendement.  Cette proposition peut émaner soit de la Chambre des Députés, soit du Sénat, ou encore du Pouvoir Exécutif. Ensuite, il confère au Pouvoir Législatif le droit de «déclarer qu’il y  a lieu d’amender la constitution, le cas échéant».  Je prends note ici que le texte devant être publié au Journal Officiel est une déclaration du Pouvoir Législatif; il n’est nulle part question de loi ni de «loi constitutionnelle». Le dernier élément constitue l’exigence des «motifs à l’appui», c’est-à-dire que, pour amender la constitution, les initiateurs doivent indiquer les raisons justificatives des modifications proposées. Il s’ensuit, donc, que les motifs doivent accompagner la proposition d’amendement.

L’article qui suit précise les modalités de validité de cette déclaration d’amendement.

Article 282-1: «Cette déclaration doit réunir l’adhésion des deux-tiers (2/3) de chacune des deux chambres.  Elle ne peut être faite qu’au cours de la dernière session ordinaire d’une législature et est publiée immédiatement sur toute l’étendue du territoire». 

Donc, je comprends que cette déclaration est conditionnée quant au moment de sa mise en œuvre. Les mots s’imposent inflexiblement et inconditionnellement: «Elle ne peut être faite».  C’est donc à la dernière session ordinaire d’une législature qu’elle a lieu; en ce qui concerne l’ordre actuel, c’était bien à la 48ème Législature qu’il revenait de faire la déclaration qu’il y a lieu d’amender la Constitution de 1987. Et, cette déclaration devrait être publiée immédiatement sur toute l’étendue du territoire.  Au préalable, cette déclaration oblige à un contrôle de légitimité. Il lui faut obtenir l’adhésion des deux chambres; cela veut dire que les deux-tiers de la Chambre des Députés doivent l’approuver, d’une part, et les deux-tiers du Sénat doivent en faire de même, d’autre part.

Le prochain article s’applique à la manière dont se forme l’Assemblée Nationale ainsi qu’à la tâche qui lui est dévolue:

Art. 283: «A la première session de la législature suivante, les chambres se réunissent en assemblée nationale et statuent sur l’amendement proposé».

En ce qui concerne la situation actuelle, il s’agit de la première session ordinaire de la 49ème Législature. C’est durant cette nouvelle législature qu’il convient aux deux chambres de se réunir en assemblée nationale afin de statuer sur l’amendement proposé par la législature précédente. Puis, l’article suivant en explique le mode de validation des délibérations:

Article 284: «L’assemblée nationale ne peut siéger, ni délibérer sur l’amendement, si les deux-tiers (2/3) au moins des membres de chacune des deux (2) chambres ne sont présents.

Je me rappelle qu’ordinairement, référence périodique est faite tout au long des débats  «à la vérification du quorum» afin de s’assurer de l’application permanente de cette prescription. Deux actions sont visées par cet article: la dénomination de l’assemblée nationale proprement dite et sa capacité de délibération.  Cela sous-entend, qu’en premier lieu, pour siéger, c’est-à-dire pour que cette réunion de parlementaires puisse être qualifiée d’Assemblée Nationale, il faut constater la présence d’un nombre précis de Sénateurs et de  Députés, donc le total de ces parlementaires forme le corps de l’Assemblée Nationale. Ensuite, il est important que pour délibérer sur l’amendement, ce même nombre soit exigé. Il est donc ici reconnu à la 49ème Législature le devoir de délibérer sur l’amendement déclaré, c’est-à-dire de le mettre en discussions.

C’est en l’article qui y fait suite qu’est adressée la validité du vote pris en assemblée nationale. Chaque étape de l’amendement et chaque action à entreprendre afin d’y arriver est donc clairement énoncée et décrite.  La Constitution se doit d’être claire et sans équivoque.  Elle ne devrait point donner lieu à interprétation.

Article 284-1: «Aucune décision de l’assemblée nationale ne peut être adoptée qu’à la majorité des deux tiers (2/3) des suffrages exprimés».

S’il faut un nombre précis de parlementaires, issu d’un quota respectif de deux-tiers des députés et des sénateurs pour composer l’Assemblée Nationale, il faut aussi en déterminer le quota obligatoire pour légitimer la validité des  propositions acceptées.  Il est nécessaire que les deux-tiers des membres de ce corps se prononcent favorablement pour qu’une modification proposée soit adoptée. Puis, le processus d’amendement s’achève avec l’entrée en vigueur de l’amendement ainsi obtenu, stipulé à l’article suivant:

Article 284-2: « L’amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu’après l’installation du prochain Président élu. En aucun cas, le président sous le gouvernement de qui l’amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent.»

Il me semble que c’est la comopréhension de cet article en particulier qui permettrait de déterminer ce que pourrait faire le Président Michel Martelly, s’il peut ou rectifier ou même publier l’amendement acquis sous l’ancienne présidence, suivant l’opinion du Bâtonnier Charles. Cet article 284-2 précise bien que l’amendement n’est d’application qu’après l’installation du prochain Président élu. Donc, le Président élu prête serment, il est installé et alors entre en vigueur les nouvelles prescriptions de la constitution amendée.  Le nouveau Président élu est le bénéficiaire privilégié des avantages éventuels de ces nouvelles dispositions constitutionnelles.  En aucun cas, le président qui fut partie prenante du processus ne peut en bénéficier.  A contrario, on peut déduire que le président qui en bénéficie ne peut y prendre part non plus, car il deviendrait un intéressé à la chose; cette démarche intéressée justifiant l’interdiction des possibles bénéfices; la résultante étant l’impossibilité pour tout président, acteur du jeu, d’en tirer un gain. 

S’il faut s’en tenir strictement à la lettre de l’article 284-2 de la Constitution de 1987, il parait que le nouveau Président élu ne peut agir en aucun cas, ni intervenir à aucun niveau, dans une quelconque étape de la procédure, si limpide et si bien présentée en termes clairement établis.  Le seul lien pouvant exister entre la modification de la Constitution et le nouveau Chef d’Etat, consiste en celui que lui impose l’article 136, de «veiller à son respect et à son exécution».

La dernière étape de la lecture des dispositions visant à l’amendement de la constitution révèle deux interdictions édictées au niveau des articles 284-3 et 284-4. La première vise à bannir le référendum comme mode de modification de la constitution et la deuxième tend à garantir formellement le caractère démocratique et républicain de l’état haïtien.

Article 284-3: Toute consultation populaire tendant à modifier la constitution par voie de référendum est formellement interdite».
Article 284-4: Aucun amendement à la constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et républicain de l’état.

  Ce survol du Titre XIII traitant  du processus établi par la Constitution de 1987, en prévision de son éventuel amendement, pourrait servir de base à de multiples réflexions et analyses. Toutefois, il s’agit de s’en inspirer afin de trouver des points de lumière susceptibles d’éclairer notre lanterne citoyenne, en Vigiles de la Constitution, notre seul garant face aux interminables attaques contre le caractère démocratique de la République que nous tardons à construire.
La lettre de Me. Gervais Charles opine que «l’amendement étant acquis sous l’ancienne présidence, rien ne s’oppose à ce que le président Michel Martelly le fasse rectifier ou même publier». La force de cette déclaration exige que j’y applique tout mon entendement.  Il me semble que Me. Charles considère, avant toute chose, que l’amendement à la Constitution publié par le Président Préval sous la forme d’une «Loi Constitutionnelle» serait, d’emblée, entré en vigueur. Le Président Préval aurait donc, ainsi, respecté ses obligations en ce qui a trait au processus d’amendement et il reviendrait donc au Président Martelly de respecter les siennes. 

Si tel est le cas, le Président Martelly ne peut qu’appliquer ladite «loi constitutionnelle», publiée comme étant l’amendement voté.  Alors, il devrait s’empresser de rendre fonctionnel le Conseil Constitutionnel qui pourra s’acquitter  de répondre de la constitutionnalité des normes mises en place à travers la législation haïtienne, en commençant par la Constitution elle-même. Si l’amendement est donc acquis, où est le problème? Ah! Il y a des déclarations formelles, émises par des Parlementaires eux-mêmes, dénonçant l’existence de faux documents. Faut-il les considérer comme relevant de la clameur publique ou des appels au secours  en constat d’un flagrant délit? L’important serait de mettre l’action publique en mouvement car il y a accusation de crime avec production de certains éléments de preuve.  Ne serait-ce pas la raison pour laquelle on prétend que tout cela peut être corrigé, en exigeant l’intervention du Président Martelly? Et tout ce manège aurait pour objectif de minimiser la gravité des forfaits commis et de garder la Nation sous l’emprise abrutissante de l’impunité qui deviendrait irréversible, une fois que le nouveau Président s’y serait impliqué.

De croire que rien ne s’y oppose! Pourtant, tout s’y oppose! La Constitution de 1987 n’autorise aucunement le Président Martelly, en sa qualité de président nouvellement élu, à participer de près ou de loin à l’amendement constitutionnel; son tour viendra à la fin de son quinquennat pour qu’il jouisse de l’ultime privilège de proposer sa vision d’amendement constitutionnel. Il ne peut le rectifier, ce n’est pas son œuvre; il ne peut en publier la rectification, car il ne peut y apposer sa signature; ce faisant, il se serait écarté de la légalité. 

En mon âme et conscience, avec tout le respect que je voue au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats et avec toute l’affection que je porte à Me. Gervais Charles, j’élève ma petite voix dans la grande vallée de notre désert national, je crie de toutes mes forces et je supplie toutes mes concitoyennes et tous mes concitoyens d’élever leur voix avec la mienne; car, la Constitution, c’est tout ce qui nous reste.  Considérant les rapports des forces en présence et s’il faut ainsi un compromis politique plutôt que de demeurer sous l’égide de la Constitution de 1987, je dirai: Oublions pendant un instant infini de rechercher les coupables; mais de grâce, n’introduisons point le nouveau Président avec son gouvernement en gestation dans le cycle infernal de la violation de la constitution et de l’impunité institutionnalisée.

Sauvegardons le peu de ce qui nous reste de notre fierté de peuple et de notre dignité humaine et fortifiions-le.

Au nom de nos Aïeux! Au nom de notre jeunesse! 
Chantal Volcy Céant, citoyenne.
31 mai 2011     
   
Lettre du Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Gervais CHARLES à M. Max Chauvet

Haïti: Le 26 mai 2011

Monsieur Max Chauvet
Directeur du Nouvelliste
En ses Bureaux

Monsieur le Directeur

J'ai lu avec attention l'éditorial publié à la page 3 de l'édition du 25 mai 2011 de votre journal intitulé «Sur quelle Constitution Martelly a-t-il prêté serment ? »

Une erreur s'est glissée dans votre éditorial. Le président Michel Martelly n'a pas prêté serment sur la Constitution amendée comme vous le prétendez. Il a prêté serment sur la Constitution de 1987, non amendée.

L'article 284-2 de la Constitution de 1987 prévoit que l'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après l'installation du prochain président élu. La prestation de serment constitue l'essentiel de l'installation. Le serment est donc prêté avant que l'amendement rentre en vigueur.

Je partage l'opinion que l'amendement en application de l'article 126, est acquis le jour de son adoption définitive par les deux chambres, cette fois en session réunie.

Il est tout aussi exact que la Constitution devra être visée dans toute loi ou arrêté.

Le président Martelly doit absolument prendre une décision de manière urgente pour que le texte inexact publié dans Le Moniteur ne soit considéré comme le véritable amendement.

L'amendement étant acquis sous l'ancienne présidence, rien ne s'oppose à ce que le président Michel Martelly le fasse rectifier ou même publier.

Haute considération.

Gervais Charles, av.
Bâtonnier