Il ne s'agit pas d'un simple assassinat mais d'une exécution. Plusieurs indices : d'une part les ravisseurs semblaient avoir été placés devant la maison de François Latour, attendant pendant des heures son retour en fin de journée en vue de le kidnapper et l'emmener vers la rue Barbée de Marbois (Delmas 31) ou il allait trouver un autre groupe de mercenaires. D'autre part ils n'ont attendu aucune négociation de rançon, après avoir exigé pour la forme 100,000 dollars US , en prenant le soin d'utiliser le téléphone de leur victime . Ils ont emmené leur butin vivant dans la région quasi déserte de Batimat pour le descendre sans autre forme de procès apparemment deux heures après. Autre indice : la balle dans le ventre. Apparemment François Latour aurait tenté de faire face aux criminels, de se battre, dans un dernier corps à corps, se souvenant de cette folle soirée après l'assassinat sous Baby Doc de son ami le journaliste Raymond Raymond quand ses copains de la presse indépendante montèrent une armada à la recherche des assassins, les armes et le cœur à la main, les yeux inondés de larmes , comme de jeunes oiseaux fous. Il aurait essayé de survivre. Jouant au mort comme dans la tragédie grecque d'Antigone, n'a-t-il pas ensuite essayé en vain d'appeler à son secours, en signalant ou on l'avait jeté ? Autre indice : on n'arrivait pas à le localiser. On l'a abandonné. On a été le chercher uniquement le lendemain, il est mort des suites de ses blessures et de la lâcheté des autres. On a fini par l'avoir... -------------------------------------------------------
François Latour a survécu pourtant à l'assassinat de la plupart de ses amis de la presse et du théâtre : 40 ans après on a fini par l'avoir lui aussi ! Merde! On a tué François Latour. C'est toute une génération qu'on vient de tuer. C'est toute une époque. C'est un pays, je veux dire, tout un patrimoine qui vient de tomber. Il faisait partie de ces aînés qu'on ne pouvait que respecter. Vers la fin des années soixante dix et le début des années quatre vingt tout adolescent qui apprenait comme moi à lire et à écrire enfin tout seul avait une vénération sans borne pour de tels noms : Ezechiel Abellard ( de Radio Métropole dont on ne retrouva jamais le corps), Gasner Raymond (du journal le Petit samedi Soir étranglé et jeté sur la route de Braches), Ricot Jean Baptiste (qui finit par "se suicider", brûlé vif, après une émission de radio), Jean Dominique (criblé de balles devant Radio Haïti), et tous ces journalistes cartésiens, Marie Gerty Aimé, Pierre Clitandre, Anthony Pascal, les frères Jean Robert et Gabriel Herard, Michel Soukar, Jean Claude Fignolé, Marcus Garcia, Bob Lemoine, Dany Laferriere, et par-dessus tout François Latour le philosophe . Nom de Dieu ils n'avaient que vingt ans et c'était nos seules références. Grâce à eux on avait un pays et on se sentait fier, fiers tous d'avoir leur nationalité. Et aujourd'hui qu'en reste-il ? -----------------------------------------------------
Autour de ces noms des cadavres, rien que des cadavres et des mémoires de cadavres. Les survivants n'ont pas vu passer le temps, à 60 ans ils ont encore vingt ans. Au fond de nous leurs pauvres héritiers, monte une rage à peine contenue, difficile à être retenue, un cri énorme, le cri des oiseaux fous comme aurait dit Dany Laferriere , dans ce merveilleux roman qui fait pleurer de la première page jusqu'a la fin. Dany raconte en effet l'histoire des journalistes traqués, qu'on tue sans arrêt dans ce pays et qui ressassent des rêves sans fin, il cite nommément ce jeune journaliste qui s'appelait François Latour et qui intriguait tout le monde par sa grandeur et sa profonde humilité. Un jeune homme super protégé par sa mère nous dit Dany qui n'avait peur de rien sauf de mourir sous la pluie... 40 ans après il meurt sous la pluie, abandonné, dans son sang. On a fini par l'avoir... ---------------------------------------------------------
François Latour était plus qu'un publiciste. C'est le journaliste que j'ai toujours connu et admiré, le journaliste des chroniques radiophoniques au quotidien, qui pour faire face à la médiocrité ambiante, en réel géant, se réfugiait dans le rire, les calembours, les jeux de mots, juste pour passer le temps. Il est né là, dans un mauvais temps, le temps des chauves souris. Il est né à une époque ou il n'y a plus de géants, parmi nous, une majorité de petits nains, et dans ce cas il devenait facile à voir. Difficile à défendre. Difficile aussi après de rendre le coup pour le coup. Ainsi personne n'est plus à l'abri. Serions nous tous devenus si lâches de ne pouvoir organiser la résistance au nom de la liberté, pour que nous puissions vivre enfin en paix et pour permettre aux enfants de grandir heureux ? C'est la dernière idée soulevée à Miami au local d'une télévision haïtienne, entre des amis par François Latour il y a quelques mois. En fait François a toujours été considéré comme dangereux pour toutes les dictatures. Parce qu'il a toujours su penser et aider les autres à se panser ou se passer de l'ignorance... François Latour a fait ce qu'il a pu pour donner à sa patrie en tant que journaliste et homme de parole toute la dimension qu'elle méritait. Aui nom de la liberté d'expression.---------------------------------------
François Latour à 20 ans après la mort de Papa doc., Entra à l'université pour participer activement à la création d'un mouvement de prise de conscience révolutionnaire de masse en utilisant le créole comme une arme. Il lança l'idée de la naissance d'une presse indépendante en utilisant comme base de lancement les cercles de réflexion culturelle, alliant autour de lui des fils de paysans qui réclamaient le retour à la liberté et à la démocratie . Là où Exechiel Abellard de Radio Métropole avait échoué, il allait réussir. Il parvint à entraîner après lui les jeunes de la SNAD (Société Nationale des Arts Dramatiques) et à leur donner une orientation révolutionnaire. Le pays allait connaître l'ère des Compères : Compère Filo (un fervent d'Exechiel ) Compère Roro, Compère Plume, Compère Jojolafleur. --------------------
Ces camarades créoles allaient créer une opposition radicale à la dictature à la radio et sur les planches de théâtre en drainant des foules entières , à leur tour, derrière eux . François Latour a toujours identifié deux endroits pour atteindre les foules : le théâtre et la radio. Il prit à la fois la direction de la TNH (Théâtre National d'Haïti) et celle de Radio Port-au-Prince pour mieux coordonner le mouvement à la barbe de la milice. Il finira par entrer dans la clandestinité échappant plusieurs fois à la mort. Intellectuel très érudit, ce jeune homme fit circuler ensuite par ses fidèles de précieux livres dans les lycées tel le volumineux "Question de Méthodes" de Jean Paul Sartre, les fameux "Principes Elémentaires de philosophie" de Pullitzer , et certains auteurs contestataires russes que lui seul pouvait trouver secrètement. C'est lui qui apportera à Francketienne, une célèbre pièce de dissidents russes traduite en français "Les immigrés" qui deviendra"Pelen Tèt" , une formidable mise en accusation de la nomenklatura duvaliériste. A la chute du régime en février 1986 il produisit a Transvision Studio un documentaire journalistique de télévision de haute qualité, distribué par milliers à travers le pays concernanto sur les dérives autoritaires de la dictature et la quête populaire de la démocratie. C'est a partir de cette époque que le journaliste se consacra davantage sur demande de Jean Dominique à la production de spots publicitaires en créole en leur donnant un autre ton , un autre tonus alliant l'intellectualité au populisme, un pari qu'il réussit...---------------------------------------
Les années 1986-1990 qu'il appela avec humour "les années malfini" (du nom d'un oiseau rapace) voient un Latour encore plus mordant dans ses chroniques. Il envoyait de la vitriole sur les régimes de mort, allant parfois jusqu'a improviser des phrases de colère contre "les mangeurs d'innocents qui boivent du sang en se lavant les dents avec" . Il explosa ainsi dans "Troufoban" de Frankétienne, nous livra un "Caligula" créole (traduit d’Albert Camus) qui rappelait ses sorties inattendues dans "Bouki Nan Paradi" de Franck Foucher,"Monsieur De Vastey"( de René Philoctète) ,"Montserrat" de l’algérien Emmanuel Roblès ou "Lamiral" de Syto Cavé.Au cinema avec "Map Pale Nèt" de Raphaël Stines ou "L’homme sur les quais" de Raoul Peck, il démolit davantage tous les styles de dictature et mit en garde contre la resurgeance des nouveaux dictateurs en Haiti. Francois Latour n'était pas simpliste , si vous préférez, il n'était pas "simple". Au cours des années 1991 - 2001 qu'il dénomme "années de la longue nuit" dans une ses chroniques il démontrait son souci de rester éveillé, de ne pas se laisser zombifier. Il se faisait écouter tous les matins à la radio dans sa rubrique "Port-au Prince au cours des Zins" dans laquelle sur Radio Métropole, il pourfendait les dirigeants et les mœurs de la nouvelle société obscurantiste. ----------------------------------------------------
Entre 2001 et 2007 qu'il présentait comme "le temps de la folie furieuse" il enregistrait et interprétait des poètes de la rage tels un Anthony Phelps, se demandant comme lui si "le temps est revenu de se parler en signe". Sur les ondes de Radio Caraïbes il offrait enfin une série d'analyses critiques et ironiques sur les orientations actuelles du pays, sans égard pour quiconque rappelant qu'il refusera jusqu'à sa mort "d'acheter la figure de quiconque" ou de se faire acheter, préférant garder son compte en banque secret pour que les corrompus bien armés ne viennent tirer ce qu'il n'a pas...après tant de refus. Finalement ils sont venus tirer sur lui, pour nous voler sa vie. François Latour a refusé de se faire acheter est resté intègre et jusqu'à la fin portant bien haut le flambeau de la liberté de la presse. --------------------------------
Qui a ordonné son exécution? Les premières versions sont liées à des rumeurs : une stratégie pour détourner les regards des Gonaiïves qui menaçaient après l'assassinat d'un autre journaliste Alix Joseph, d'inaugurer de nouvelles émeutes de nature à ébranler les assises de Port-au-Prince. Cette stratégie serait nous dit-on purement trostskiste : solutionner un problème en créant un autre problème. Si cette version a un sens quelconque, pourquoi choisir François? La même rumeur voudrait que son nom nom ait été sur une liste de mauvaises têtes à cause de ses critiques ouvertes à la barbe de Fidel "qui aurait maintenant deux pays à gérer Cuba et Haïti". Capacité sournoise de mobilisation ou non, on prétend aussi de prétendues consultations internationales dans lesquelles il aurait dénoncé un ensemble de crimes en Haïti et ses relations avec le brillant cinéaste Raoul Peck en exil considéré comme l'un des plus farouches détracteurs du pouvoir actuel au niveau de la communauté internationale. Que ne dit-on pas ? Maintenant il reste à trouver les véritables mobiles de cet assassinat et leurs auteurs pour que la justice puisse agir, même si la justice s'amuse ces jours ci à libérer des criminels notoires. Serions nous revenus aux temps de se parler en signe ? La lumière doit être faite sur ce crime, même si les comédiens font semblant s'époumoner maintenant. Et ceci n'arrivera pas tout seul. Il nous faut réfléchir à une stratégie de survie. C'est l'avenir de tout un pays et de chacun de nous qui se trouve en danger...------------------------------------
Adyjeangardy
Fondateur et Président d'Honneur
de la Fédération de la Presse haïtienne